De nombreuses personnes m’ont aidée pendant l’évacuation, alors que j’étais séparée de ma famille – Insistez toujours sur ce qui vous semble juste –
De nombreuses personnes m’ont aidée pendant l’évacuation, alors que j'étais séparée de ma famille
- Insistez toujours sur ce qui vous semble juste -
Survivant : Kayoko Tamanaha (09玉那覇香代子)
Date de naissance : 20 février 1934
Lieu de naissance : Onaga, ville de Nishihara
Âge à l’époque : 11 ans
■ Je suis née à Onaga, ville de Nishihara. J’étais à l’école primaire à l’époque. Une attaque aérienne a eu lieu le 10-10 (10 octobre). Je n’ai pas voulu être évacuée à Kunigami parce que je ne voulais pas quitter ma famille.
À compter de l’attaque aérienne du 10-10 (10 octobre) jusqu’en avril environ, les obus tombaient régulièrement. La cérémonie d’inscription en avril ne s'est pas déroulée à l'école, toutes les écoles étaient occupées par les soldats. J’allais à l’école à Amuro, tout près de ma ville natale Onaga. Environ une semaine plus tard, la sirène de Yonabaru retentit nous avertissant d’un « raid aérien ». Nous avons tous quitté Amuro pour nous réfugier dans un abri antiaérien à Onaga. Au moment de sortir, le professeur nous a dit « Courez sous les arbres jusqu'à l'abri antiaérien. Courez dans les champs de cannes à sucre. Ne prenez pas les routes principales, les forces armées américaines vous prendront comme cible. Gardez ça à l’esprit. Bien, alors prenez vos cartables et courez vite ! » Nous nous sommes échappés de l’école. Au moment d'atteindre l'abri antiaérien, une mitrailleuse a commencé à nous tirer dessus ra-ta-ta-ta, ra-ta-ta-ta comme ça. Miraculeusement, je n’ai pas été touchée.
La nuit tombée et une fois l'attaque terminée, nous nous sommes dits « Pourquoi ne pas rentrer chez nous, pourquoi ne pas rentrer chez nous ». Nous avons alors quitté l’abri et sommes rentrés à la maison. Lorsque je suis rentrée, mon père était entrain de préparer à manger pour le lendemain.
Il préparait des pommes de terre et des haricots, comme ça, lorsque la sirène avertissant d’un « raid aérien » retentirait le lendemain, nous aurions le temps de quitter la maison pour rejoindre l’abri antiaérien.
Le barrage à l’époque se trouvait sur l'île de Kudakajima. On entendait les tirs de l’artillerie navale pffi bang bang, pffi bang bang. Le trou d’homme à côté du nôtre était complètement détruit.
■ Des amis se trouvaient dans le trou d’homme. Évacuation vers Shimajiri
J’ai vu mes amis se faire tuer, mais je n’ai pas réussi à pleurer. Tout ce que je pouvais faire, c’est tenter de sauver ma propre vie. « Oh, mes pauvres amis. Ils se trouvaient juste dans l'autre trou. Quel dommage qu’ils soient morts », voilà mes seules émotions du moment. Il fallait que je m’échappe.
■ Un bombardement a tué ma petite sœur alors qu’elle se cachait dans la cabane à sucre de Shimajiri où nous étions évacués.
« Hé, papa, ma petite sœur ne parle plus. Elle perd beaucoup de sang. » Mon père a ramassé le corps de ma petite sœur et l'a enterré dans un trou derrière la cabane à sucre. « Je suis désolée Tsuruko. » C’est tout ce que j'ai pu dire. Je n’avais plus de sang ni même de larmes en moi. Nous arrivions à peine à nous maintenir en vie.
Mon frère aîné revint de la Garde Nationale blessé par balle au pied et au bras.
Le lendemain, j’ai remarqué qu’il était couvert de vers. J’ai commencé à le brosser avec une botte de miscanthus. Le matin suivant, alors que je pensais avoir enlevé tous les vers, il y en avait encore. Je les ai à nouveau brossés.
■ Attaqués par les forces armées américaines, nous avons quitté la cabane à sucre.
J’ai dû faire mes adieux à ma petite sœur. Étant blessé au pied, mon frère avait du mal à marcher. Mon père l’aidait bras dessus, bras dessous. C’est comme ça que nous avons fui. Je marchais pour avancer. Alors que nous marchions, quelqu’un m’a dit « Accélère pour rejoindre des proches plus en avant. Ne regarde pas en arrière ton père ou ton frère. Dépêche-toi et avance », alors j’ai obéis. Je portais juste mes propres affaires et je marchais quand tout à coup hiii bang, un tir d'artillerie navale tombe entre mon frère et moi. Je n’ai pas vu ce qui est arrivé à mon frère ou mon père. J’ai couru aussi vite que possible, je me suis retrouvée séparée de ma famille. Je m’échappais, toute seule. Toute ma famille avait disparu, je ne savais pas où ils étaient. J’étais seule.
■ Une vieille femme que je connaissais se cachait dans une écurie qui se trouvait juste devant moi. Ensemble, nous avons commencé l’ascension de la montagne.
Nous étions sur le point de commencer notre ascension lorsqu’une bombe détruisit l’écurie. Des gens d’Onaga, huit familles en tout, ont tous été tués.
Les enfants de la vieille femme, tous les enfants, ont été tués dans l’écurie. Dans mes souvenirs, je la revois encore dévaler la montagne en hurlant « Pourquoi Toshiko (le nom de son enfant), pourquoi Jiro (un autre de ses enfants), pourquoi les enfants ? » J’entends encore ses cris alors qu'elle courait vers l'endroit où se trouvait l’écurie.
Nous avons continué à marcher jusqu’à une autre écurie.
Alors que je m’approchais de l’écurie, je vis un soldat. « Donne moi de l'eau, s'il te plaît, donne moi de l'eau », me demanda-t-il. Je me suis dit : « Je n’ai même pas de récipient pour transporter de l’eau. De toute façon, pourquoi lui donnerais-je de l'eau ? » J’ai tout de même cherché des feuilles d’un taro pour lui rapporter de l’eau. Mais quelqu’un m’a dit « si tu donnes de l’eau à un soldat blessé, il va mourir. Ne lui donne pas d’eau ». « Je veux de l’eau, oh maman, donne-moi de l’eau s’il te plaît », disait-il. Malheureusement, je n’ai pas pu lui donner d’eau.
Une bombe a également touché cette écurie. J'ai atterri par terre, coincée sous une planche. Bien que cela ne me ressemble pas, je me souviens avoir crié « À l'aide, à l'aaaaaide ! ». Alors que je criais, Monsieur Giko Yonamine, mon professeur de troisième année, passait par là. « Hé, c’est toi Kayobo (mon surnom) ! » dit-il en retirant la planche. « Viens par là, suis-moi ». « Oui monsieur », lui répondis-je.
« Ne dis à personne que je suis un professeur. Si tu leur dis que je suis un professeur, ils vont m’arrêter. Appelle-moi grand-père » ; me dit-il. J’ai répondu « Oui, je comprends » et je l’ai suivi.
■ Séparée de mon professeur, à nouveau seule. Crampes d’estomac pendant une pause. Rencontre avec une gentille dame.
« Mon estomac me fait mal, madame » dis-je. « Ton estomac te fait mal ? Je suppose que tu n’as rien mangé. Ça doit être douloureux » et elle me tendit une canne à sucre à lécher. Elle me dit de me coucher sur le côté et tapotait mon dos pour me soulager. Elle me tapotait, tap, tap, tap, tap sur le dos quand tout à coup, le mouvement de sa main cessa. On venait de lui tirer dessus. Cette dame avait une fille et un fils. Ils se sont mis à pleurer en hurlant « Que se passe-t-il, maman ? ». Je ne pouvais pas rester ici à hurler avec eux. J'ai laissé la dame et ses deux enfants et j’ai couru pour m'enfuir.
■ Retrouvaille avec le professeur, dans un trou d’homme à Cape Kiyan-misaki (cape). Un soldat américain nous a demandé de sortir du trou. Mon professeur m’avait dit « ils ne tuent pas les enfants », alors je suis sortie.
Ce soldat américain avait dû dire quelque chose comme « Sortez, sortez ! ». Mon professeur Monsieur Giko m’avait dit de sortir, parce que les soldats nous demandaient de le faire. « Non. Je ne sortirai pas d’ici. Si je sors, ils vont me tuer », répondis-je. « Ils ne vont pas te tuer. Ils ne tuent pas les enfants, alors sors d'ici. Tu désobéis à ton professeur ? », dit Monsieur Giko. « C’est d’accord », répondis-je, « je vais sortir d'ici ». J’ai pris mes affaires et je suis sortie du trou d’homme.
Une fois dehors, les soldats m’on dit « Voilà du chocolat. Prends-en. Viens, prends-en », mais je ne l'ai pas tout de suite mangé. Ils m’ont demandé s’il y avait beaucoup de gens qui se cachaient dans cet abri. « Oui, ils sont nombreux à s’y cacher. Ils sont nombreux là-dedans », répondis-je. « S'ils sont nombreux là-dedans, tu dois leur dire de sortir. S’ils ne sortent pas, nous ferons feu sur eux. Si nous le faisons, ils vont tous mourir. C’est ce que tu veux, qu’ils meurent tous ? ». L’homme à qui je parlais était un américain japonais de seconde génération d’Hawaï. Je répondis « Non, je veux qu’ils vivent tous ». « Si tu veux que ces gens dans l’abri vivent, alors tu dois leur demander de sortir. Ils peuvent sortir puis mourir s’ils le souhaitent. Mais en tout cas, ils devront tous sortir », me dit-il. Alors j’ai crié : « Monsieur Giko, ils disent que si vous ne sortez pas, ils vont tirer dans le trou. Voulez-vous qu’ils tirent dans le trou ? ». Monsieur Giko demanda « C’est qui ces gens dehors ? ». « Il y a un homme à moitié brûlé et un soldat japonais. Ils m’ont offert des choses à manger, mais je n’ai rien mangé, j’attends. Je ne mangerai que lorsque tout le monde sera sorti. » « Sortez, Monsieur Giko, ils disent qu’ils vont tirer dans le trou, alors sortez », dis-je. Tout le monde est sorti de l’abri antiaérien, les mains en l’air. Les gens qui sont sortis du trou d'homme venaient des hameaux de Tsuha, Nago, Goya et Kohatsu. Personne n’était originaire d’Onaga. J’étais la seule d’Onaga. J’étais très triste.
■ Capturée et prisonnière de guerre, transférée à Adaniya, Nakagusuku
Après quelques temps, les autres prisonniers se sont montrés très attentionnés à mon égard. « Kayoko, reste là. Je vais laver tes habits, retire-les. Je vais te prêter mes vêtements en attendant, portez-les et reste ici », me disaient-ils. Ils m'ont appris beaucoup de choses. Je n’avais pas à me soucier des repas et lorsque je dormais, les autres femmes veillaient sur moi.
Le monde dans lequel nous vivions à ce moment-là était vraiment en piteux état. Jusqu’à la mort, nous ne cesserons de prier pour la paix. Voilà ce que nous ressentons.
■ Mon frère et mon père sains et saufs et transférés à Hawaï (comme prisonniers), nos retrouvailles.
Mon frère et mon père ont été faits prisonniers et furent transférés à Hawaï. Ils pensaient tous les deux qu’ils allaient être tués sur le bateau qui les transportait à Hawaï, mais ce ne fut pas le cas. Lorsqu’ils sont arrivés à Hawaï, ils se sont retrouvés avec de nombreuses personnes originaires d’Onaga. De nombreuses personnes de l’Association préfectorale d’Okinawan (kenjinkai) se sont rassemblées et leur ont dit « Vous venez à Hawaï et vous n’avez pas participé à la guerre », « oui, c’est admirable, admirable » disait-ils en les accueillant.
Voilà comment mon frère et mon père se sont retrouvés. Lorsque je suis retournée dans mon village natal d’Onaga, 68% du village était détruit. De toutes les communes de la ville de Nishihara, c’est Onaga qui a subi le plus de pertes.
Parmi les survivants, je suis la seule qui ne porte pas de cicatrices. Je n’ai même pas été égratignée. Toutes les autres personnes parlent de leurs blessures, quelle oreille a été touchée, comment ils ont été blessés au dos, etc. Mais ils vont tous bien aujourd’hui. Leurs blessures ont guéri.
■ Un message pour les nouvelles générations
Le militarisme a disparu depuis longtemps ici, et je crois que c’est une bonne chose qu’aujourd’hui l’éducation enseigne la paix. Lorsqu'une guerre comme celle-ci éclate, il est déjà trop tard. Alors nous insistons, nous l’affirmons catégoriquement, j’espère qu’elle (la paix) reste à jamais revendiquée.
- Insistez toujours sur ce qui vous semble juste -
Survivant : Kayoko Tamanaha (09玉那覇香代子)
Date de naissance : 20 février 1934
Lieu de naissance : Onaga, ville de Nishihara
Âge à l’époque : 11 ans
■ Je suis née à Onaga, ville de Nishihara. J’étais à l’école primaire à l’époque. Une attaque aérienne a eu lieu le 10-10 (10 octobre). Je n’ai pas voulu être évacuée à Kunigami parce que je ne voulais pas quitter ma famille.
À compter de l’attaque aérienne du 10-10 (10 octobre) jusqu’en avril environ, les obus tombaient régulièrement. La cérémonie d’inscription en avril ne s'est pas déroulée à l'école, toutes les écoles étaient occupées par les soldats. J’allais à l’école à Amuro, tout près de ma ville natale Onaga. Environ une semaine plus tard, la sirène de Yonabaru retentit nous avertissant d’un « raid aérien ». Nous avons tous quitté Amuro pour nous réfugier dans un abri antiaérien à Onaga. Au moment de sortir, le professeur nous a dit « Courez sous les arbres jusqu'à l'abri antiaérien. Courez dans les champs de cannes à sucre. Ne prenez pas les routes principales, les forces armées américaines vous prendront comme cible. Gardez ça à l’esprit. Bien, alors prenez vos cartables et courez vite ! » Nous nous sommes échappés de l’école. Au moment d'atteindre l'abri antiaérien, une mitrailleuse a commencé à nous tirer dessus ra-ta-ta-ta, ra-ta-ta-ta comme ça. Miraculeusement, je n’ai pas été touchée.
La nuit tombée et une fois l'attaque terminée, nous nous sommes dits « Pourquoi ne pas rentrer chez nous, pourquoi ne pas rentrer chez nous ». Nous avons alors quitté l’abri et sommes rentrés à la maison. Lorsque je suis rentrée, mon père était entrain de préparer à manger pour le lendemain.
Il préparait des pommes de terre et des haricots, comme ça, lorsque la sirène avertissant d’un « raid aérien » retentirait le lendemain, nous aurions le temps de quitter la maison pour rejoindre l’abri antiaérien.
Le barrage à l’époque se trouvait sur l'île de Kudakajima. On entendait les tirs de l’artillerie navale pffi bang bang, pffi bang bang. Le trou d’homme à côté du nôtre était complètement détruit.
■ Des amis se trouvaient dans le trou d’homme. Évacuation vers Shimajiri
J’ai vu mes amis se faire tuer, mais je n’ai pas réussi à pleurer. Tout ce que je pouvais faire, c’est tenter de sauver ma propre vie. « Oh, mes pauvres amis. Ils se trouvaient juste dans l'autre trou. Quel dommage qu’ils soient morts », voilà mes seules émotions du moment. Il fallait que je m’échappe.
■ Un bombardement a tué ma petite sœur alors qu’elle se cachait dans la cabane à sucre de Shimajiri où nous étions évacués.
« Hé, papa, ma petite sœur ne parle plus. Elle perd beaucoup de sang. » Mon père a ramassé le corps de ma petite sœur et l'a enterré dans un trou derrière la cabane à sucre. « Je suis désolée Tsuruko. » C’est tout ce que j'ai pu dire. Je n’avais plus de sang ni même de larmes en moi. Nous arrivions à peine à nous maintenir en vie.
Mon frère aîné revint de la Garde Nationale blessé par balle au pied et au bras.
Le lendemain, j’ai remarqué qu’il était couvert de vers. J’ai commencé à le brosser avec une botte de miscanthus. Le matin suivant, alors que je pensais avoir enlevé tous les vers, il y en avait encore. Je les ai à nouveau brossés.
■ Attaqués par les forces armées américaines, nous avons quitté la cabane à sucre.
J’ai dû faire mes adieux à ma petite sœur. Étant blessé au pied, mon frère avait du mal à marcher. Mon père l’aidait bras dessus, bras dessous. C’est comme ça que nous avons fui. Je marchais pour avancer. Alors que nous marchions, quelqu’un m’a dit « Accélère pour rejoindre des proches plus en avant. Ne regarde pas en arrière ton père ou ton frère. Dépêche-toi et avance », alors j’ai obéis. Je portais juste mes propres affaires et je marchais quand tout à coup hiii bang, un tir d'artillerie navale tombe entre mon frère et moi. Je n’ai pas vu ce qui est arrivé à mon frère ou mon père. J’ai couru aussi vite que possible, je me suis retrouvée séparée de ma famille. Je m’échappais, toute seule. Toute ma famille avait disparu, je ne savais pas où ils étaient. J’étais seule.
■ Une vieille femme que je connaissais se cachait dans une écurie qui se trouvait juste devant moi. Ensemble, nous avons commencé l’ascension de la montagne.
Nous étions sur le point de commencer notre ascension lorsqu’une bombe détruisit l’écurie. Des gens d’Onaga, huit familles en tout, ont tous été tués.
Les enfants de la vieille femme, tous les enfants, ont été tués dans l’écurie. Dans mes souvenirs, je la revois encore dévaler la montagne en hurlant « Pourquoi Toshiko (le nom de son enfant), pourquoi Jiro (un autre de ses enfants), pourquoi les enfants ? » J’entends encore ses cris alors qu'elle courait vers l'endroit où se trouvait l’écurie.
Nous avons continué à marcher jusqu’à une autre écurie.
Alors que je m’approchais de l’écurie, je vis un soldat. « Donne moi de l'eau, s'il te plaît, donne moi de l'eau », me demanda-t-il. Je me suis dit : « Je n’ai même pas de récipient pour transporter de l’eau. De toute façon, pourquoi lui donnerais-je de l'eau ? » J’ai tout de même cherché des feuilles d’un taro pour lui rapporter de l’eau. Mais quelqu’un m’a dit « si tu donnes de l’eau à un soldat blessé, il va mourir. Ne lui donne pas d’eau ». « Je veux de l’eau, oh maman, donne-moi de l’eau s’il te plaît », disait-il. Malheureusement, je n’ai pas pu lui donner d’eau.
Une bombe a également touché cette écurie. J'ai atterri par terre, coincée sous une planche. Bien que cela ne me ressemble pas, je me souviens avoir crié « À l'aide, à l'aaaaaide ! ». Alors que je criais, Monsieur Giko Yonamine, mon professeur de troisième année, passait par là. « Hé, c’est toi Kayobo (mon surnom) ! » dit-il en retirant la planche. « Viens par là, suis-moi ». « Oui monsieur », lui répondis-je.
« Ne dis à personne que je suis un professeur. Si tu leur dis que je suis un professeur, ils vont m’arrêter. Appelle-moi grand-père » ; me dit-il. J’ai répondu « Oui, je comprends » et je l’ai suivi.
■ Séparée de mon professeur, à nouveau seule. Crampes d’estomac pendant une pause. Rencontre avec une gentille dame.
« Mon estomac me fait mal, madame » dis-je. « Ton estomac te fait mal ? Je suppose que tu n’as rien mangé. Ça doit être douloureux » et elle me tendit une canne à sucre à lécher. Elle me dit de me coucher sur le côté et tapotait mon dos pour me soulager. Elle me tapotait, tap, tap, tap, tap sur le dos quand tout à coup, le mouvement de sa main cessa. On venait de lui tirer dessus. Cette dame avait une fille et un fils. Ils se sont mis à pleurer en hurlant « Que se passe-t-il, maman ? ». Je ne pouvais pas rester ici à hurler avec eux. J'ai laissé la dame et ses deux enfants et j’ai couru pour m'enfuir.
■ Retrouvaille avec le professeur, dans un trou d’homme à Cape Kiyan-misaki (cape). Un soldat américain nous a demandé de sortir du trou. Mon professeur m’avait dit « ils ne tuent pas les enfants », alors je suis sortie.
Ce soldat américain avait dû dire quelque chose comme « Sortez, sortez ! ». Mon professeur Monsieur Giko m’avait dit de sortir, parce que les soldats nous demandaient de le faire. « Non. Je ne sortirai pas d’ici. Si je sors, ils vont me tuer », répondis-je. « Ils ne vont pas te tuer. Ils ne tuent pas les enfants, alors sors d'ici. Tu désobéis à ton professeur ? », dit Monsieur Giko. « C’est d’accord », répondis-je, « je vais sortir d'ici ». J’ai pris mes affaires et je suis sortie du trou d’homme.
Une fois dehors, les soldats m’on dit « Voilà du chocolat. Prends-en. Viens, prends-en », mais je ne l'ai pas tout de suite mangé. Ils m’ont demandé s’il y avait beaucoup de gens qui se cachaient dans cet abri. « Oui, ils sont nombreux à s’y cacher. Ils sont nombreux là-dedans », répondis-je. « S'ils sont nombreux là-dedans, tu dois leur dire de sortir. S’ils ne sortent pas, nous ferons feu sur eux. Si nous le faisons, ils vont tous mourir. C’est ce que tu veux, qu’ils meurent tous ? ». L’homme à qui je parlais était un américain japonais de seconde génération d’Hawaï. Je répondis « Non, je veux qu’ils vivent tous ». « Si tu veux que ces gens dans l’abri vivent, alors tu dois leur demander de sortir. Ils peuvent sortir puis mourir s’ils le souhaitent. Mais en tout cas, ils devront tous sortir », me dit-il. Alors j’ai crié : « Monsieur Giko, ils disent que si vous ne sortez pas, ils vont tirer dans le trou. Voulez-vous qu’ils tirent dans le trou ? ». Monsieur Giko demanda « C’est qui ces gens dehors ? ». « Il y a un homme à moitié brûlé et un soldat japonais. Ils m’ont offert des choses à manger, mais je n’ai rien mangé, j’attends. Je ne mangerai que lorsque tout le monde sera sorti. » « Sortez, Monsieur Giko, ils disent qu’ils vont tirer dans le trou, alors sortez », dis-je. Tout le monde est sorti de l’abri antiaérien, les mains en l’air. Les gens qui sont sortis du trou d'homme venaient des hameaux de Tsuha, Nago, Goya et Kohatsu. Personne n’était originaire d’Onaga. J’étais la seule d’Onaga. J’étais très triste.
■ Capturée et prisonnière de guerre, transférée à Adaniya, Nakagusuku
Après quelques temps, les autres prisonniers se sont montrés très attentionnés à mon égard. « Kayoko, reste là. Je vais laver tes habits, retire-les. Je vais te prêter mes vêtements en attendant, portez-les et reste ici », me disaient-ils. Ils m'ont appris beaucoup de choses. Je n’avais pas à me soucier des repas et lorsque je dormais, les autres femmes veillaient sur moi.
Le monde dans lequel nous vivions à ce moment-là était vraiment en piteux état. Jusqu’à la mort, nous ne cesserons de prier pour la paix. Voilà ce que nous ressentons.
■ Mon frère et mon père sains et saufs et transférés à Hawaï (comme prisonniers), nos retrouvailles.
Mon frère et mon père ont été faits prisonniers et furent transférés à Hawaï. Ils pensaient tous les deux qu’ils allaient être tués sur le bateau qui les transportait à Hawaï, mais ce ne fut pas le cas. Lorsqu’ils sont arrivés à Hawaï, ils se sont retrouvés avec de nombreuses personnes originaires d’Onaga. De nombreuses personnes de l’Association préfectorale d’Okinawan (kenjinkai) se sont rassemblées et leur ont dit « Vous venez à Hawaï et vous n’avez pas participé à la guerre », « oui, c’est admirable, admirable » disait-ils en les accueillant.
Voilà comment mon frère et mon père se sont retrouvés. Lorsque je suis retournée dans mon village natal d’Onaga, 68% du village était détruit. De toutes les communes de la ville de Nishihara, c’est Onaga qui a subi le plus de pertes.
Parmi les survivants, je suis la seule qui ne porte pas de cicatrices. Je n’ai même pas été égratignée. Toutes les autres personnes parlent de leurs blessures, quelle oreille a été touchée, comment ils ont été blessés au dos, etc. Mais ils vont tous bien aujourd’hui. Leurs blessures ont guéri.
■ Un message pour les nouvelles générations
Le militarisme a disparu depuis longtemps ici, et je crois que c’est une bonne chose qu’aujourd’hui l’éducation enseigne la paix. Lorsqu'une guerre comme celle-ci éclate, il est déjà trop tard. Alors nous insistons, nous l’affirmons catégoriquement, j’espère qu’elle (la paix) reste à jamais revendiquée.