Moi, un sashiba, et un piège à poulpes
M. Keikichi Yamazato
Date de naissance:1943
Lieu de naissance:Ville de Miyakojima
Les familles en temps de guerre et mes cicatrices
Je suis né en 1943, à Nikadori sur l’île de Miyako. Mon père était agriculteur mais les gens de notre communauté l’appelait « sensei », pour je ne sais quelle raison. Je trouvais ça étrange car il n’était pas professeur. J’ai demandé aux gens du village le pourquoi de ce « tirre ». Apparament, c’est parce qu’il contribuait beaucoup à la communauté. Il avait également été membre du conseil local et maire de notre village.
Lors de l’attaque du 10 octobre 1945, je n’avais que trois ans, donc je ne me souviens pas beaucoup de cette époque. Je me souviens juste avoir été blessé. J’ai été éraflé par une balle de mitrailleuse. Notre maison a été touché en deux endroits par le tir de balayage d’un avion. A l’époque l’armée américaine avait l’ordres strict de tirer sur tout ce qui bougeait. Notre maison était près d’une colline et il s’est avéré qu’il y avait quelqu’un là-bas, sur la colline. C’est eux que l’avion visait mais notre maison a été frappée par 2 balles perdues. Une balle a traversé notre volet et m’a frôlé une autre a frappé l’autel bouddhique de notre maison, Une troisième a frappé l’appentis où l’on entreposait le bois. Mes parents m’ont raconté qu’il y avait du personnel de l’armée de terre japonaise dans l’abri antiaérien Nikadori, et mes parents m’ y ont emmené. Normalement l’armée ne soignaient pas les civils. Mais d’après ma mère il m’ont soignait. Je garde encore la cicatrice de la balle de mitrailleuse qui m’a effleuré sur le bras, et aussi dans le dos. Comme j’étais encore tout petit, je dormais dans le ichibanza (pièce principale). Quand la balle de la mitrailleuse m’a touché, j’ai crié et pleuré, apparemment. Ma famille déjeunait dans une pièce voisine. En entendant les balles, ils se sont cachés en catastrophe, même si ça ne servait sûrement plus à rien. Quoiqu’il en soit, ils tous sains et saufs. J’étais le seul touché, blessé à trois endroits sur mon dos et sur mon bras. Je pense que j’ai survécu parce que la balle a raté de peu ma colonne vertébrale. J’ai eu beaucoup de chance.
Je n’ai aucun souvenir des raids aériens sur l’île de Miyako, Mais apparement mon père et d’autres été réquisitionnés pour combler les trous laissés par les bombes
sur les pistes de l’aérodrome. Après la guerre, il restait sur la plage une épave de char japonais. Je pense qu’il avait été touché par une des attaques américaines.
Sashiba et grotte de Takotsubo
Quand j’étais petit, nous mangions beaucoup de patates douces. On cueillait aussi des herbes sauvages, des herbes similaires à des oignons verts, par exemple, et nous les mettions dans la soupe. Nous mangions aussi des goyaves et des mûres. Nous attrapions aussi des cigales, des sauterelles, et les lézards. Pour nous, le luxe, c’était le sashiba (rapace, busautour à joues grises). Aujourd’hui, c’est une espéce protégée, mais je ne pense pas que c’était le cas quand j’étais à l’école.
Un jour, je suis allé seul à la montagne. et j’en ai attrapé deux. C’était la première et la dernière fois. Je les ai attrapés à mains nues. Il faisait nuit noire, mais je les ai aperçus à la lumière des maisons. J’ai lentement grimpé à l’arbre. Pour le premier, je l’ai attrapé par une patte, et il m’a griffé avec les serres de sa patte libre. Mais je n’ai pas lâché prise : c’était notre repas! Pour le deuxième, ça s’est mieux passé. C’est la seule fois où j’en ai attrapés. Pendant une semaine, j’ai joué avec les oiseaux. Je leur attachais une ficelle et une tongue en bois à la patte et je les faisais voler. Puis au bout d’une semaine, quand ils ont commencé à fatiguer, Nous les avons mangés dans notre soupe. Nous mélangions la viande avec notre riz, c’était délicieux. La graisse jaune de l’oiseau flottait à la surface. Un jour, je suis retourné à la chasse au sashiba. Il y avait un bosquet de pins le long du rivage près de notre maison. Là, il y avait beaucoup de tombes, c’était un endroit sinistre. Il y faisait complètement noir. Les oiseaux venaient depuis la direction de la mer. J’étais perché en haut d’un pin à quelques mètres de mes amis. J’ai attendu longtemps, sans succès. J’ai décidé de rentrer à la maison. Je me suis retourné, j’ai sauté de l’arbre, et je suis directement tombé dans une tranchée creusée pour une seule personne. Les soldats creusaient ce type d’abris que nous appelions des « Takotsubo (pièges à poulpes) », Je pensais que c’en était fini de moi. j’ai réussi tant bien que mal à m’extirper de la tranchée. Je m’y étais enfoncé jusqu’à la poitrine. Si elle avait été plus profonde, j’aurais sans doute été en danger, dans le noir total.
Le Miyako de mon enfance
« Nous allions aussi » pêcher sur le rivage. Chaque fois que je sortais avec mes amis couper des herbes pour nourrir les chèvres, j’emmenais toujours mes lunettes
de plongée. A l’époque on appelait ça des « mīkagan ». Certains pratiquait la pêche à l’explosif. Quand j’entendais une explosion venant de la mer, je me précipitais. Sur la rive, il y avait des poissons, vivants et morts. Je ramenais ceux que les pêcheurs laissaient à la maison pour les manger. Les « shima-aji » (carangues rayées) étaient souvent rejetées sur le rivage par l’explosion. Les pêcheurs utilisaient des bombes artisanales. Ils extrayaient la poudre de munitions pour armes à feu, la mettaient dans des bouteilles, qu’ils jetaient dans la mer. On trouvait la poudre sous deux formes, en pastille carrées, ou rondes, avec un noyau. On trouvait beaucoup de munitions sur le rivage. Les gens ramassaient de la ferraille partout dans la région à l’époque. Partout sur l’île, les gens se ruaient sur la ferraille. Nous les enfants aussi, ramassions de la ferraille pour nous faire de l’argent de poche. Il y avait des négociants spécialisés dans la ferraille. Nous leur vendions ce que nous ramassions, et ça nous faisait un peu d’argent de poche. C’était notre plus grande joie.
J’ai grandi dans une famille nombreuse. J’étais le sixième enfant. Pour le petit déjeuner, nous n’avions que deux portions de nouilles somen pour tout le monde. Nous n’avions que quelques nouilles chacun, flottant dans un bouillon, sans garniture. Je m’asseyais toujours près du feu. pour être servi en premier. Il y avait aussi de grandes boîtes de conserve que l’armée américaine distribuait. Je pense que c’était des épinards, ou quelque chose comme ça. Quand j’étais très petit, un navire transportant du riz blanc s’est échoué près du cap Higashi-henna-zaki. L’autre bateau parti pour tenter de récupérer la cargaison a également eu un accident. À l’époque, le riz était très cher, et beaucoup de gens sont allés chercher ce riz.
L’eau manquait également sur l’île. Il y avait des récipients dans les champs pour récupérer l’eau de pluie, mais ils ne récoltaient guère d’eau. Il m’est même arrivé de boire l’eau qui s’accumulait dans les traces laissées par les roues de charrettes. Je la puisais avec mes mains, en me disant que c’était mieux que ne pas boire du tout. je n’en suis jamais tombé malade. J’ai eu de la chance, je pense. Je crois que les enfants de cette époque. étaient résistants.
Vers intestinaux et vermifugation
Pour le nouvel an et les autres fêtes, on tuait un cochon dans l’arrière-cour avec la famille étendue. En le découpant, on trouvait des petits oeufs blancs (de vers parasites) dans la viande. On pensait que ça irait quand même, parce que nous la faisions bouillir. Des gens de l’Administration civile américaine des îles Ryukyu ont projeté un film au Centre Culturel Ryukyuan-Americain de Miyako sur le danger des parasites alimentaires. Un jour, après avoir joué au bord de la mer nous courions pour essayer de nous sêcher. Nous étions à un endroit où les grand-mères se réunissaient souvent pour prier. Mon ami a ramassé un bâton d’encens tombé et fait semblant de fumer. Soudain, un ver est sorti de son nez. J’ai été très surpris.
À l’école autrefois, on utilisait une algue pour éliminer les vers intestinaux. Je ne me souviens pas du nom de l’algue, mais on nous en faisait boire une infusion. C’est ce qu’on utilisait pour tuer les parasites. Et après l’infusion, on nous donnait un bonbon, un « Drop » : j’adorais ça. C’est comme ça que j’ai mangé mon premier « Drop » C’était pour faire passer le goût de l’infusion, qui était très amère.
La vie à l’école
Mon école avait avec un toit de chaume et un sol en terre battue. Nous soulevions de la poussière en marchant. Les salles de classe n’étaient séparées que par des murets. On entendait tout. Il y avait trois classes dans le bâtiment. Parfois, nous ramassions de vieux papiers à la poubelle, nous faisions une boule qu’on remplissait de terre qu’on jetait dans la classe voisine. Cela laissait nos bureaux couverts
de terre et de saletés. Nous faisions souvent ce genre de choses.
Une épidémie infectant les plantes et les légumes a également fait des dégâts. Même l’école a été mobilisée pour tenter de la contôler. Nos professeurs nous ont emmenés
dans les champs et nous ont fait gratter les parties infectées. Plus tard, je suis entré au Collège de Hirara. Je ne me souviens pas si le bâtiment était construit pour durer.
Toujours est-il qu’il a subi d’importants dégâts à cause d’un typhon. De là, nous nous avont été divisés en deux groupes : un qui suivait les cours le matin, et un le soir. Cela a continué jusqu’à ce qu’une nouvelle école soit construite.
Ensuite, je me suis inscrit dans un lycée agricole, mais je ne m’y connais pas vraiment en agriculture. Nous faisions du compost à l’école. La ferme de l’école était située près du bâtiment principal, avec une ferme annexe près de l’aéroport. Nous allions y livrer le compost. L’annexe était une grande ferme d’environ 18 hectares essentiellement de cannes à sucre. A la récolte, nous venions à l’école sans notre déjeuner. Nous mâchions de la canne à sucre en travaillant.
Fin du lycée, et emploi sur le port
Après le lycée, je me la suis coulé douce au village pendant une année. Mais je me disais que ça ne pouvait pas durer. J’ai décidé de trouver un travail plus reconnu.
Nous étions encore sous occupation américaine à l’époque, alors j’ai pensé devenir dactylographe, sur des machines en anglais. l’Association des Familles de victimes de la guerre offrait alors des cours de dactylographie dans centre de formation professionnelle, à Naha. Quiconque avait perdu quelqu’un à la guerre était éligible.
Mon père m’a donné la permission d’aller à Naha, et ainsi j’ai pu apprendre à taper à la machine. Cette formation m’a beaucoup servi quand j’ai commencé à travailler.
J’ai été engagé par une société portuaire (sur le port de Naha). Sous l’occupation américaine, tous les manifestes de chargement et les documents douaniers, devaient être écrits en anglais. Toutes les marchandises qui partaient vers le Japon, était traitées comme des exportations, Il fallait faire une déclaration pour les douanes, et établir un « connaissement » (bon de fret) pour la banque. Savoir taper en anglais était indispensable pour rédiger ces documents. Toute marchandise chargée sur le bateau, peu importe la taille ou la quantité, devait être déclarée et approuvée en douane. A cette époque, il y avait des gens à Naha qui tiraient profit des avantages fiscaux d’Okinawa. Vous pouviez emporter trois bouteilles de whisky américain d’Okinawa vers la métropole. Là, vous pouviez le revendre à prix d’or. Selon certains marins, il y aurait même eu des gens qui avaient gagné assez d’argent comme ça pour acheter une maison.
La partie la plus pénible de mon travail au port était le transbordement de marchandises. A l’époque, on transférait souvent la cargaison d’un bateau à un autre. Par exemple, un bateau arrivait avec des ananas de Yaeyama, ou des textiles jōfu de Miyako. Il arrivait souvent qu’au moment de transférer la cargaison vers un bateau allant à Osaka, les papiers nécessaires manquaient et la cargaison ne pouvait pas être chargée à cause d’une erreur du responsable. Les textiles jōfu de Miyako, en particulier, se vendaient à 300 000 yens le rouleau, ou 3 millions de yens le container. Comme le bateau allant à Osaka ne revenait pas avant la semaine suivante, tout retard causait de gros problèmes, avec des articles aussi chers. Les Américains allaient souvent à Taïwan, et revenaient avec des meubles taïwanais. Ils venaient nous voir, nous, pour les procédures douanières. Ils nous demander comment faire pour le dédouanement, mais la procédure était différente de la procédure ordinaire, et je devais tout leur expliquer en anglais, auquel je n’étais pas habitué. C’était le plus compliqué pour moi.
Message pour la jeunesse
Quoiqu’on en dise nous vivons aujourd’hui dans une époque d’abondance. Quand j’étais jeune, nous n’avions pour le petit déjeuner que du riz et une soupe avec des nouilles. Et encore, il n’y avait guère de nouilles dans la soupe. Si soudainement notre chaîne d’approvisionnement venait à s’interrompre, j’ai peur que enfants aujourd’hui
ne survivent pas. Je crois que nous devrions leur parler à l’école des pénuries alimentaires pendant et après la guerre, et de leur enseigner l’importance de la nourriture.
M. Keikichi Yamazato a passé son enfance sur l’île de Miyako, et a déménagé à Naha, sur l’île principale d’Okinawa, après le lycée. Il y a travaillé dans la logistique maritime pendant de nombreuses années, depuis l’occupation américaine jusqu’à l’âge de la retraite.
Les familles en temps de guerre et mes cicatrices
Je suis né en 1943, à Nikadori sur l’île de Miyako. Mon père était agriculteur mais les gens de notre communauté l’appelait « sensei », pour je ne sais quelle raison. Je trouvais ça étrange car il n’était pas professeur. J’ai demandé aux gens du village le pourquoi de ce « tirre ». Apparament, c’est parce qu’il contribuait beaucoup à la communauté. Il avait également été membre du conseil local et maire de notre village.
Lors de l’attaque du 10 octobre 1945, je n’avais que trois ans, donc je ne me souviens pas beaucoup de cette époque. Je me souviens juste avoir été blessé. J’ai été éraflé par une balle de mitrailleuse. Notre maison a été touché en deux endroits par le tir de balayage d’un avion. A l’époque l’armée américaine avait l’ordres strict de tirer sur tout ce qui bougeait. Notre maison était près d’une colline et il s’est avéré qu’il y avait quelqu’un là-bas, sur la colline. C’est eux que l’avion visait mais notre maison a été frappée par 2 balles perdues. Une balle a traversé notre volet et m’a frôlé une autre a frappé l’autel bouddhique de notre maison, Une troisième a frappé l’appentis où l’on entreposait le bois. Mes parents m’ont raconté qu’il y avait du personnel de l’armée de terre japonaise dans l’abri antiaérien Nikadori, et mes parents m’ y ont emmené. Normalement l’armée ne soignaient pas les civils. Mais d’après ma mère il m’ont soignait. Je garde encore la cicatrice de la balle de mitrailleuse qui m’a effleuré sur le bras, et aussi dans le dos. Comme j’étais encore tout petit, je dormais dans le ichibanza (pièce principale). Quand la balle de la mitrailleuse m’a touché, j’ai crié et pleuré, apparemment. Ma famille déjeunait dans une pièce voisine. En entendant les balles, ils se sont cachés en catastrophe, même si ça ne servait sûrement plus à rien. Quoiqu’il en soit, ils tous sains et saufs. J’étais le seul touché, blessé à trois endroits sur mon dos et sur mon bras. Je pense que j’ai survécu parce que la balle a raté de peu ma colonne vertébrale. J’ai eu beaucoup de chance.
Je n’ai aucun souvenir des raids aériens sur l’île de Miyako, Mais apparement mon père et d’autres été réquisitionnés pour combler les trous laissés par les bombes
sur les pistes de l’aérodrome. Après la guerre, il restait sur la plage une épave de char japonais. Je pense qu’il avait été touché par une des attaques américaines.
Sashiba et grotte de Takotsubo
Quand j’étais petit, nous mangions beaucoup de patates douces. On cueillait aussi des herbes sauvages, des herbes similaires à des oignons verts, par exemple, et nous les mettions dans la soupe. Nous mangions aussi des goyaves et des mûres. Nous attrapions aussi des cigales, des sauterelles, et les lézards. Pour nous, le luxe, c’était le sashiba (rapace, busautour à joues grises). Aujourd’hui, c’est une espéce protégée, mais je ne pense pas que c’était le cas quand j’étais à l’école.
Un jour, je suis allé seul à la montagne. et j’en ai attrapé deux. C’était la première et la dernière fois. Je les ai attrapés à mains nues. Il faisait nuit noire, mais je les ai aperçus à la lumière des maisons. J’ai lentement grimpé à l’arbre. Pour le premier, je l’ai attrapé par une patte, et il m’a griffé avec les serres de sa patte libre. Mais je n’ai pas lâché prise : c’était notre repas! Pour le deuxième, ça s’est mieux passé. C’est la seule fois où j’en ai attrapés. Pendant une semaine, j’ai joué avec les oiseaux. Je leur attachais une ficelle et une tongue en bois à la patte et je les faisais voler. Puis au bout d’une semaine, quand ils ont commencé à fatiguer, Nous les avons mangés dans notre soupe. Nous mélangions la viande avec notre riz, c’était délicieux. La graisse jaune de l’oiseau flottait à la surface. Un jour, je suis retourné à la chasse au sashiba. Il y avait un bosquet de pins le long du rivage près de notre maison. Là, il y avait beaucoup de tombes, c’était un endroit sinistre. Il y faisait complètement noir. Les oiseaux venaient depuis la direction de la mer. J’étais perché en haut d’un pin à quelques mètres de mes amis. J’ai attendu longtemps, sans succès. J’ai décidé de rentrer à la maison. Je me suis retourné, j’ai sauté de l’arbre, et je suis directement tombé dans une tranchée creusée pour une seule personne. Les soldats creusaient ce type d’abris que nous appelions des « Takotsubo (pièges à poulpes) », Je pensais que c’en était fini de moi. j’ai réussi tant bien que mal à m’extirper de la tranchée. Je m’y étais enfoncé jusqu’à la poitrine. Si elle avait été plus profonde, j’aurais sans doute été en danger, dans le noir total.
Le Miyako de mon enfance
« Nous allions aussi » pêcher sur le rivage. Chaque fois que je sortais avec mes amis couper des herbes pour nourrir les chèvres, j’emmenais toujours mes lunettes
de plongée. A l’époque on appelait ça des « mīkagan ». Certains pratiquait la pêche à l’explosif. Quand j’entendais une explosion venant de la mer, je me précipitais. Sur la rive, il y avait des poissons, vivants et morts. Je ramenais ceux que les pêcheurs laissaient à la maison pour les manger. Les « shima-aji » (carangues rayées) étaient souvent rejetées sur le rivage par l’explosion. Les pêcheurs utilisaient des bombes artisanales. Ils extrayaient la poudre de munitions pour armes à feu, la mettaient dans des bouteilles, qu’ils jetaient dans la mer. On trouvait la poudre sous deux formes, en pastille carrées, ou rondes, avec un noyau. On trouvait beaucoup de munitions sur le rivage. Les gens ramassaient de la ferraille partout dans la région à l’époque. Partout sur l’île, les gens se ruaient sur la ferraille. Nous les enfants aussi, ramassions de la ferraille pour nous faire de l’argent de poche. Il y avait des négociants spécialisés dans la ferraille. Nous leur vendions ce que nous ramassions, et ça nous faisait un peu d’argent de poche. C’était notre plus grande joie.
J’ai grandi dans une famille nombreuse. J’étais le sixième enfant. Pour le petit déjeuner, nous n’avions que deux portions de nouilles somen pour tout le monde. Nous n’avions que quelques nouilles chacun, flottant dans un bouillon, sans garniture. Je m’asseyais toujours près du feu. pour être servi en premier. Il y avait aussi de grandes boîtes de conserve que l’armée américaine distribuait. Je pense que c’était des épinards, ou quelque chose comme ça. Quand j’étais très petit, un navire transportant du riz blanc s’est échoué près du cap Higashi-henna-zaki. L’autre bateau parti pour tenter de récupérer la cargaison a également eu un accident. À l’époque, le riz était très cher, et beaucoup de gens sont allés chercher ce riz.
L’eau manquait également sur l’île. Il y avait des récipients dans les champs pour récupérer l’eau de pluie, mais ils ne récoltaient guère d’eau. Il m’est même arrivé de boire l’eau qui s’accumulait dans les traces laissées par les roues de charrettes. Je la puisais avec mes mains, en me disant que c’était mieux que ne pas boire du tout. je n’en suis jamais tombé malade. J’ai eu de la chance, je pense. Je crois que les enfants de cette époque. étaient résistants.
Vers intestinaux et vermifugation
Pour le nouvel an et les autres fêtes, on tuait un cochon dans l’arrière-cour avec la famille étendue. En le découpant, on trouvait des petits oeufs blancs (de vers parasites) dans la viande. On pensait que ça irait quand même, parce que nous la faisions bouillir. Des gens de l’Administration civile américaine des îles Ryukyu ont projeté un film au Centre Culturel Ryukyuan-Americain de Miyako sur le danger des parasites alimentaires. Un jour, après avoir joué au bord de la mer nous courions pour essayer de nous sêcher. Nous étions à un endroit où les grand-mères se réunissaient souvent pour prier. Mon ami a ramassé un bâton d’encens tombé et fait semblant de fumer. Soudain, un ver est sorti de son nez. J’ai été très surpris.
À l’école autrefois, on utilisait une algue pour éliminer les vers intestinaux. Je ne me souviens pas du nom de l’algue, mais on nous en faisait boire une infusion. C’est ce qu’on utilisait pour tuer les parasites. Et après l’infusion, on nous donnait un bonbon, un « Drop » : j’adorais ça. C’est comme ça que j’ai mangé mon premier « Drop » C’était pour faire passer le goût de l’infusion, qui était très amère.
La vie à l’école
Mon école avait avec un toit de chaume et un sol en terre battue. Nous soulevions de la poussière en marchant. Les salles de classe n’étaient séparées que par des murets. On entendait tout. Il y avait trois classes dans le bâtiment. Parfois, nous ramassions de vieux papiers à la poubelle, nous faisions une boule qu’on remplissait de terre qu’on jetait dans la classe voisine. Cela laissait nos bureaux couverts
de terre et de saletés. Nous faisions souvent ce genre de choses.
Une épidémie infectant les plantes et les légumes a également fait des dégâts. Même l’école a été mobilisée pour tenter de la contôler. Nos professeurs nous ont emmenés
dans les champs et nous ont fait gratter les parties infectées. Plus tard, je suis entré au Collège de Hirara. Je ne me souviens pas si le bâtiment était construit pour durer.
Toujours est-il qu’il a subi d’importants dégâts à cause d’un typhon. De là, nous nous avont été divisés en deux groupes : un qui suivait les cours le matin, et un le soir. Cela a continué jusqu’à ce qu’une nouvelle école soit construite.
Ensuite, je me suis inscrit dans un lycée agricole, mais je ne m’y connais pas vraiment en agriculture. Nous faisions du compost à l’école. La ferme de l’école était située près du bâtiment principal, avec une ferme annexe près de l’aéroport. Nous allions y livrer le compost. L’annexe était une grande ferme d’environ 18 hectares essentiellement de cannes à sucre. A la récolte, nous venions à l’école sans notre déjeuner. Nous mâchions de la canne à sucre en travaillant.
Fin du lycée, et emploi sur le port
Après le lycée, je me la suis coulé douce au village pendant une année. Mais je me disais que ça ne pouvait pas durer. J’ai décidé de trouver un travail plus reconnu.
Nous étions encore sous occupation américaine à l’époque, alors j’ai pensé devenir dactylographe, sur des machines en anglais. l’Association des Familles de victimes de la guerre offrait alors des cours de dactylographie dans centre de formation professionnelle, à Naha. Quiconque avait perdu quelqu’un à la guerre était éligible.
Mon père m’a donné la permission d’aller à Naha, et ainsi j’ai pu apprendre à taper à la machine. Cette formation m’a beaucoup servi quand j’ai commencé à travailler.
J’ai été engagé par une société portuaire (sur le port de Naha). Sous l’occupation américaine, tous les manifestes de chargement et les documents douaniers, devaient être écrits en anglais. Toutes les marchandises qui partaient vers le Japon, était traitées comme des exportations, Il fallait faire une déclaration pour les douanes, et établir un « connaissement » (bon de fret) pour la banque. Savoir taper en anglais était indispensable pour rédiger ces documents. Toute marchandise chargée sur le bateau, peu importe la taille ou la quantité, devait être déclarée et approuvée en douane. A cette époque, il y avait des gens à Naha qui tiraient profit des avantages fiscaux d’Okinawa. Vous pouviez emporter trois bouteilles de whisky américain d’Okinawa vers la métropole. Là, vous pouviez le revendre à prix d’or. Selon certains marins, il y aurait même eu des gens qui avaient gagné assez d’argent comme ça pour acheter une maison.
La partie la plus pénible de mon travail au port était le transbordement de marchandises. A l’époque, on transférait souvent la cargaison d’un bateau à un autre. Par exemple, un bateau arrivait avec des ananas de Yaeyama, ou des textiles jōfu de Miyako. Il arrivait souvent qu’au moment de transférer la cargaison vers un bateau allant à Osaka, les papiers nécessaires manquaient et la cargaison ne pouvait pas être chargée à cause d’une erreur du responsable. Les textiles jōfu de Miyako, en particulier, se vendaient à 300 000 yens le rouleau, ou 3 millions de yens le container. Comme le bateau allant à Osaka ne revenait pas avant la semaine suivante, tout retard causait de gros problèmes, avec des articles aussi chers. Les Américains allaient souvent à Taïwan, et revenaient avec des meubles taïwanais. Ils venaient nous voir, nous, pour les procédures douanières. Ils nous demander comment faire pour le dédouanement, mais la procédure était différente de la procédure ordinaire, et je devais tout leur expliquer en anglais, auquel je n’étais pas habitué. C’était le plus compliqué pour moi.
Message pour la jeunesse
Quoiqu’on en dise nous vivons aujourd’hui dans une époque d’abondance. Quand j’étais jeune, nous n’avions pour le petit déjeuner que du riz et une soupe avec des nouilles. Et encore, il n’y avait guère de nouilles dans la soupe. Si soudainement notre chaîne d’approvisionnement venait à s’interrompre, j’ai peur que enfants aujourd’hui
ne survivent pas. Je crois que nous devrions leur parler à l’école des pénuries alimentaires pendant et après la guerre, et de leur enseigner l’importance de la nourriture.
M. Keikichi Yamazato a passé son enfance sur l’île de Miyako, et a déménagé à Naha, sur l’île principale d’Okinawa, après le lycée. Il y a travaillé dans la logistique maritime pendant de nombreuses années, depuis l’occupation américaine jusqu’à l’âge de la retraite.