Mes années d’après-guerre et la mer
M. Hideo Nakamura
Date de naissance:1929
Lieu de naissance:Bourg de Motobu
Raids aériens du 10 octobre : sauvetage de l’équipage d’un navire de guerre coulé.
En juillet 1944, j’ai passé l’examen du cours préparatoire d’aviateur naval et j’attendais mon avis de recrutement… au moment du grand raid aérien américain le 10 octobre. Le 10 octobre, un navire de guerre japonais appelé le Jingei a été bombardé par l’armée américaine près de chez moi (Motobu). Ce jour-là, j’étais en train de ramer en sabani (pirogue traditionnelle en bois) avec mon ami pour attraper du poisson. Alors que nous voulions passer devant le Jingei, un avion de chasse américain a largué de nombreuses bombes sur le navire de guerre. Le carburant du navire s’est déversé dans la mer, et les soldats japonais ont sauté à l’eau et ont nagé. J’ai vu un soldat blessé en train de se noyer et j’ai trouvé étrange qu’il ne sache pas nager alors qu’il servait dans la marine. Mon ami et moi sommes allés le sauver de la noyade, et c’est là que nous avons vu qu’il était blessé à la jambe.
Ordre de récupérer les cadavres
En sept jours, deux navires de guerre japonais ont été bombardés, et les corps des soldats japonais flottaient ici et là dans la mer. Un officier de police nous a ordonné de repêcher les corps. Dans la marine, la coutume voulait qu’on rassemble tous les corps repêchés sur un navire de guerre puis qu’on coulait. La marine ne pratiquait pas la crémation. Je me sentais si mal pour les soldats morts. Après ces tragiques événements du 10 octobre, les bateaux ont continué à brûler pendant cinq jours.
Formation préparatoire en métropole
Je venais d’avoir 15 ans. Comme j’étais destiné à partir en formation préparatoire, plutôt que de travailler pour l’Armée, J’ai été assigné à un poste de guet antiaérien. Je suis resté en poste de surveillance au sommet d’une montagne jusqu’au 19 octobre. Puis le 1er mars 1945, j’ai reçu un avis d’emploi pour le corps d’aviation de la marine de Tsuchiura, à Ibaraki. À cette époque, je marchais pieds nus et portais des vêtements légers, je ne savais pas qu’il faisait froid en métropole.
Je me suis donc rendu à Naha depuis Motobu dans un camion de la marine, et ma vie de stagiaire en formation préparatoire d’aviateur naval a commencé. Je suis arrivé à Sasebo, à Nagasaki, puis j’ai pris un train pour Nara. Le troisième examen de sélection pour la formation a eu lieu à Nara. Deux des candidats d’Okinawa ont été recalés. Ceux qui comme moi avaient été reçus ont été envoyés au Mont Koya à Wakayama pour suivre une formation dans un temple car Tsuchiura, à Ibaraki, avait déjà été détruit par des raids aériens. Il n’y avait pas d’entraînement au vol Et je ne savais pas où se trouvaient les avions. Il n’y avait pas non plus de carburant. Au cours de mon troisième mois d’entraînement, notre chef d »escouade nous a dit que notre mission pourrait être modifiée pour lancer des attaques par bateau suicide. Nous avons été stationnés en attente sur la côte du Cap Shionomisaki à Wakayama. C’était au milieu de nulle part. Nous sommes restés là-bas pendant environ deux mois, dans une maison privée louée, et avons attendu l’arrivée des bateaux suicides. Puis la guerre s’est terminée.
Après la fin de la guerre
Après la fin de la guerre, je suis resté temporairement à Kumamoto. J’ai accepté un travail dangereux là-bas. Il fallait transporter du charbon de Shimabara, à Nagasaki, ou des matériaux de construction depuis les environs d’Amakusa jusqu’à des entreprises de Minamata, à Kumamoto. J’ai travaillé chez Sansei Kaiun Co. Ltd. Après environ un mois et demi à ce poste, mes camarades plus âgés, avec qui je vivais, m’ont dit que nous pouvions rentrer à Okinawa, Nous sommes allés ensemble au Camp Omura à Nagasaki et nous sommes rentrés à Okinawa.
La vie après le retour à la maison
Quand je suis rentré à Okinawa, j’ai découvert que la ville de Motobu avait été réduite en cendres. Le mairie et le poste de police avaient tous deux disparu. Il ne restait plus rien. La mairie actuelle est située là où se trouvait l’école primaire. Même l’école primaire avait disparu.
En octobre 1948, deux ans après la fin de la guerre, mes frères aînés étaient pêcheurs de bonites, et mon travail consistait à attraper les appâts pour les utiliser sur le bateau de pêche. Mais comme nous ne pouvions pas aller pêcher en hiver, je cherchais comment joindre les deux bouts pendant les mois d’hiver. Deux personnes plus âgées avait un sabani (pirogue traditionnelle en bois) et un filet, Mais il n’y avait pas de poissons sur la péninsule de Motobu à cette époque de l’année. Alors nous avons ramé jusqu’à Hentona, à Kunigami. Nous étions six à être hébergés dans un village de Hentona appelé Hama. Nous y péchions des poissons-demoiselles que nous échangions contre du riz. Nous restions environ une semaine, puis nous rentrions chez nous à Motobu. Puis mon frère a fait construire un bateau dans un village voisin. Il a pris les choses en main. Nous pêchions à six, sous ses ordres. J’avais 19 ans à l’époque, et mes 5 frères avaient tous la trentaine.
Quand le vent soufflait du nord, nous utilisions les rames pour aller à Kyoda, à Nago, et nous portions le bateau de Kyoda à travers les montagnes jusqu’à Katabaru, à Ginoza. Nous nous déplacions de la côte ouest jusqu’à la côte est pour pêcher. La première fois, nous sommes restés une semaine dans un village appelé Matsuda à Ginoza. Nous avons observé l’océan pendant une semaine. La deuxième fois, nous sommes aller pêcher quelques nuits autour de l’actuel Henoko à Nago. Il y avait beaucoup de poissons dans le port de Henoko. Il y avait aussi beaucoup de rizières là-bas, alors nous traversions le village à pied, nos poissons dans une charrette, et nous échangions nos prises contre du riz. Nous n’échangions pas nos marchandises contre de l’argent. Nous devions transporter notre bateau et nos affaires à l’aller comme au retour. Le riz non décortiqué était emballé dans des sacs de l’armée américaine qui pesaient environ 70 kg. Nous emballions le riz tous les six, puis nous retournions à Motobu. D’abord, nous transportions le riz dans les sacs jusqu’à Kyoda, puis nous retournions à Henoko pour récupérer notre bateau. Et enfin nous revenions avec le bateau et nos affaires à Kyoda. Nous faisions donc trois aller-retours
à travers les montagnes.
Lorsque le vent soufflait du sud, nous allions dans la baie de Shioya à Oogimi, Puis nous remontions la rivière Okawa en bateau. Puis nous portions le bateau jusqu’à Kawata dans le village de Higashi. Nous pêchions là-bas avant de retourner à Motobu. C’est la vie que nous menions. Puis mes frères se sont demandés si nous pouvions attacher un moteur à notre sabani. Si c’était possible, je savais qu’on trouverait beaucoup de moteurs de l’armée américaine sur l’île d’Ie, C’était à l’époque où il était à nouveau possible d’entrer sur l’île.
L’explosion du LCT sur l’île d’Ie
C’était le 6 août 1948. J’ai pris un bateau l’île d’Ie. Un navire de guerre américain (LCT / landing craft tank) était ancré dans le port d’Ie. Le bateau sur lequel j’avais fait la traversée était amarré juste à côté du LCT. Un camion de l’armée américaine chargé de bombes est arrivé. et pendant le chargement des bombes une énorme explosion a englouti le LCT, tuant près de 105 personnes en un instant (107 en réalité). Il faisait très chaud ce jour-là, et j’avais été le premier à descendre du navire. J’avais traversé la route qui longeait la plage. C’est ce qui m’a sauvé la vie. À l’époque, les habitants de l’île principale d’Okinawa venaient souvent sur l’île d’Ie pour chercher les dépouilles de personnes mortes pendant la guerre. Les habitants de l’île d’Ie allaient, eux, chercher leurs morts dans la partie sud de l’île principale Tous les proches se rassemblaient pour participer aux recherches.
Le jour qui a suivi l’explosion, mes six frères aînés sont venus me chercher en sabani. À l’époque, il n’y avait pas de ferry pour aller sur l’île d’Ie. Lorsque mes frères m’ont retrouvé, J’errais sur la plage sans but. Ils ont crié, ils étaient tellement heureux que j’aie survécu. L’explosion a tué tout le monde, et a dispersé des cadavres partout sur la plage. C’était un événement si tragique que je n’ai jamais réussi à en parler, Ni dire que j’y étais, Ni même qu’un tel accident s’était produit sur l’île d’Ie. Je n’en ai jamais parlé.
Pêche ‘Agiyaa’ d’après-guerre
La technique pour prendre un gurukun (fusilier double) est appelée « pêche au coup », « agiyaa » en langue d’Okinawa. Il s’agit de rabattre les poissons depuis le fond vers les eaux peu profondes. C’est ça « agiyaa ». Ce type de pêche ne peut se pratiquer qu’en hiver. La température de l’eau est alors de 17-18℃. Elle se pratique entièrement nu. Il fait plus froid quand on porte des sous-vêtements mouillés que quand on est nu. Nous pêchions tous les six comme ça, complètement nus.
Chez nous, la nourriture était abondante. Nous avions même du riz. Pour d’autres familles, c’était plus dur. Ils n’avaient que des patates douces. Nous mangions aussi de la nourriture vendue à prix réduit par l’armée américaine. A la pêcherie, j’étais un peu l’homme à tout faire pendant deux ans. Mes frères avaient plus de 10 ans de plus que moi, alors c’était à moi de préparer le petit déjeuner le matin, et je m’occupais aussi du dîner le soir. Pour vendre le poisson, je devais porter beaucoup de marchandises lourdes. J’en ai eu marre, alors après deux ans de ce régime, je suis allé travailler pour les forces américaines.
Employé par l’Armée et « senka »
Je travaillais au QM Tengan (quartier intendance) dans l’actuelle ville d’Uruma. Mon salaire mensuel était de 150 ou 250 yens ‘B’ militaires. Tout le monde là-bas ramenait des « senka » (« trophées de guerre »). Cela consistait entre autres à voler. Beaucoup de gens volaient des conserves et d’autres biens dans les entrepôts de l’armée américaine, et les vendaient au marché noir d’Ishikawa contre de l’argent avant de retourner dans leur ville natale. Des couvertures, des pantalons fabriqués aux États-Unis, des montres et divers autres objets étaient présentés comme « trophées ». Il était difficile de cacher et sortir clandestinement de la base les cigarettes ou autres marchandises que j’avais volées dans les entrepôts. C’était quand je travaillais chez les militaires.
À l’époque où je travaillais au parc automobile (de véhicules militaires américains), on pouvait obtenir un permis de conduire américain dès que l’on était capable de conduire un véhicule sur une dizaine de mètres. Il n’y avait pas de photo sur les permis. Ainsi, lorsque les bus ont commencé à circuler à Okinawa, j’ai fait obtenir le permis à une dizaine de chauffeurs de bus différents. Ils me donnaient un inarizushi (sushi enveloppé dans du tofu frit) et me demandaient de leur procurer un permis. Ils me disaient alors comment écrire leurs noms en anglais. Je demandais ensuite un permis à leur nom au lieu du mien et je leur obtenais ainsi un permis de conduire.
Travailler en tant que plongeur
J’ai également travaillé en tant que plongeur. Lorsque les navires étrangers arrivaient au port de Naha, je devais inspecter les hélices et la capacité d’aspiration des pompes de cale (pompes submersibles). J’ai fait ça pendant trois ans. Je n’avais pas besoin d’une licence spéciale pour ce travail. Bref, j’inspectais les hélices pour voir s’il y avait des anomalies. J’ai commencé à recevoir des demandes d’études sur les poissons et de relevés sous-marins de la part de professeurs des universités de Tokyo, Kyoto et Tokai. Ils ne pouvaient pas se rendre librement à Okinawa parce que la région était sous contrôle américain. J’ai alors ouvert une entreprise de plongée et et j’ai commencé à avoir du travail. Je faisais tout le travail tout seul.
Message pour les jeunes
La chose la plus importante que je veux transmettre aux jeunes, c’est qu’ils doivent réfléchir aux raisons de s’engager dans une guerre. Les bagarres entre frères et sœurs sont aussi une forme de guerre. Les frères et sœurs ne devraient pas se battre entre eux. Je veux aussi qu’ils plantent des oignons verts et d’autres légumes, quitte à utiliser les pots de fleurs de leur jardin, afin d’apprendre à produire leur propre nourriture. Je pense que nous devons enseigner aux enfants ce genre de compétences.
Hideo Nakamura a plongé dans presque toutes les eaux d’Okinawa pour la recherche océanographique, ainsi que la récupération et le renflouement de navires coulés. Il a également représenté le Japon lors de la coupe du monde de plongée sans équipement et a remporté la troisième place.
Raids aériens du 10 octobre : sauvetage de l’équipage d’un navire de guerre coulé.
En juillet 1944, j’ai passé l’examen du cours préparatoire d’aviateur naval et j’attendais mon avis de recrutement… au moment du grand raid aérien américain le 10 octobre. Le 10 octobre, un navire de guerre japonais appelé le Jingei a été bombardé par l’armée américaine près de chez moi (Motobu). Ce jour-là, j’étais en train de ramer en sabani (pirogue traditionnelle en bois) avec mon ami pour attraper du poisson. Alors que nous voulions passer devant le Jingei, un avion de chasse américain a largué de nombreuses bombes sur le navire de guerre. Le carburant du navire s’est déversé dans la mer, et les soldats japonais ont sauté à l’eau et ont nagé. J’ai vu un soldat blessé en train de se noyer et j’ai trouvé étrange qu’il ne sache pas nager alors qu’il servait dans la marine. Mon ami et moi sommes allés le sauver de la noyade, et c’est là que nous avons vu qu’il était blessé à la jambe.
Ordre de récupérer les cadavres
En sept jours, deux navires de guerre japonais ont été bombardés, et les corps des soldats japonais flottaient ici et là dans la mer. Un officier de police nous a ordonné de repêcher les corps. Dans la marine, la coutume voulait qu’on rassemble tous les corps repêchés sur un navire de guerre puis qu’on coulait. La marine ne pratiquait pas la crémation. Je me sentais si mal pour les soldats morts. Après ces tragiques événements du 10 octobre, les bateaux ont continué à brûler pendant cinq jours.
Formation préparatoire en métropole
Je venais d’avoir 15 ans. Comme j’étais destiné à partir en formation préparatoire, plutôt que de travailler pour l’Armée, J’ai été assigné à un poste de guet antiaérien. Je suis resté en poste de surveillance au sommet d’une montagne jusqu’au 19 octobre. Puis le 1er mars 1945, j’ai reçu un avis d’emploi pour le corps d’aviation de la marine de Tsuchiura, à Ibaraki. À cette époque, je marchais pieds nus et portais des vêtements légers, je ne savais pas qu’il faisait froid en métropole.
Je me suis donc rendu à Naha depuis Motobu dans un camion de la marine, et ma vie de stagiaire en formation préparatoire d’aviateur naval a commencé. Je suis arrivé à Sasebo, à Nagasaki, puis j’ai pris un train pour Nara. Le troisième examen de sélection pour la formation a eu lieu à Nara. Deux des candidats d’Okinawa ont été recalés. Ceux qui comme moi avaient été reçus ont été envoyés au Mont Koya à Wakayama pour suivre une formation dans un temple car Tsuchiura, à Ibaraki, avait déjà été détruit par des raids aériens. Il n’y avait pas d’entraînement au vol Et je ne savais pas où se trouvaient les avions. Il n’y avait pas non plus de carburant. Au cours de mon troisième mois d’entraînement, notre chef d »escouade nous a dit que notre mission pourrait être modifiée pour lancer des attaques par bateau suicide. Nous avons été stationnés en attente sur la côte du Cap Shionomisaki à Wakayama. C’était au milieu de nulle part. Nous sommes restés là-bas pendant environ deux mois, dans une maison privée louée, et avons attendu l’arrivée des bateaux suicides. Puis la guerre s’est terminée.
Après la fin de la guerre
Après la fin de la guerre, je suis resté temporairement à Kumamoto. J’ai accepté un travail dangereux là-bas. Il fallait transporter du charbon de Shimabara, à Nagasaki, ou des matériaux de construction depuis les environs d’Amakusa jusqu’à des entreprises de Minamata, à Kumamoto. J’ai travaillé chez Sansei Kaiun Co. Ltd. Après environ un mois et demi à ce poste, mes camarades plus âgés, avec qui je vivais, m’ont dit que nous pouvions rentrer à Okinawa, Nous sommes allés ensemble au Camp Omura à Nagasaki et nous sommes rentrés à Okinawa.
La vie après le retour à la maison
Quand je suis rentré à Okinawa, j’ai découvert que la ville de Motobu avait été réduite en cendres. Le mairie et le poste de police avaient tous deux disparu. Il ne restait plus rien. La mairie actuelle est située là où se trouvait l’école primaire. Même l’école primaire avait disparu.
En octobre 1948, deux ans après la fin de la guerre, mes frères aînés étaient pêcheurs de bonites, et mon travail consistait à attraper les appâts pour les utiliser sur le bateau de pêche. Mais comme nous ne pouvions pas aller pêcher en hiver, je cherchais comment joindre les deux bouts pendant les mois d’hiver. Deux personnes plus âgées avait un sabani (pirogue traditionnelle en bois) et un filet, Mais il n’y avait pas de poissons sur la péninsule de Motobu à cette époque de l’année. Alors nous avons ramé jusqu’à Hentona, à Kunigami. Nous étions six à être hébergés dans un village de Hentona appelé Hama. Nous y péchions des poissons-demoiselles que nous échangions contre du riz. Nous restions environ une semaine, puis nous rentrions chez nous à Motobu. Puis mon frère a fait construire un bateau dans un village voisin. Il a pris les choses en main. Nous pêchions à six, sous ses ordres. J’avais 19 ans à l’époque, et mes 5 frères avaient tous la trentaine.
Quand le vent soufflait du nord, nous utilisions les rames pour aller à Kyoda, à Nago, et nous portions le bateau de Kyoda à travers les montagnes jusqu’à Katabaru, à Ginoza. Nous nous déplacions de la côte ouest jusqu’à la côte est pour pêcher. La première fois, nous sommes restés une semaine dans un village appelé Matsuda à Ginoza. Nous avons observé l’océan pendant une semaine. La deuxième fois, nous sommes aller pêcher quelques nuits autour de l’actuel Henoko à Nago. Il y avait beaucoup de poissons dans le port de Henoko. Il y avait aussi beaucoup de rizières là-bas, alors nous traversions le village à pied, nos poissons dans une charrette, et nous échangions nos prises contre du riz. Nous n’échangions pas nos marchandises contre de l’argent. Nous devions transporter notre bateau et nos affaires à l’aller comme au retour. Le riz non décortiqué était emballé dans des sacs de l’armée américaine qui pesaient environ 70 kg. Nous emballions le riz tous les six, puis nous retournions à Motobu. D’abord, nous transportions le riz dans les sacs jusqu’à Kyoda, puis nous retournions à Henoko pour récupérer notre bateau. Et enfin nous revenions avec le bateau et nos affaires à Kyoda. Nous faisions donc trois aller-retours
à travers les montagnes.
Lorsque le vent soufflait du sud, nous allions dans la baie de Shioya à Oogimi, Puis nous remontions la rivière Okawa en bateau. Puis nous portions le bateau jusqu’à Kawata dans le village de Higashi. Nous pêchions là-bas avant de retourner à Motobu. C’est la vie que nous menions. Puis mes frères se sont demandés si nous pouvions attacher un moteur à notre sabani. Si c’était possible, je savais qu’on trouverait beaucoup de moteurs de l’armée américaine sur l’île d’Ie, C’était à l’époque où il était à nouveau possible d’entrer sur l’île.
L’explosion du LCT sur l’île d’Ie
C’était le 6 août 1948. J’ai pris un bateau l’île d’Ie. Un navire de guerre américain (LCT / landing craft tank) était ancré dans le port d’Ie. Le bateau sur lequel j’avais fait la traversée était amarré juste à côté du LCT. Un camion de l’armée américaine chargé de bombes est arrivé. et pendant le chargement des bombes une énorme explosion a englouti le LCT, tuant près de 105 personnes en un instant (107 en réalité). Il faisait très chaud ce jour-là, et j’avais été le premier à descendre du navire. J’avais traversé la route qui longeait la plage. C’est ce qui m’a sauvé la vie. À l’époque, les habitants de l’île principale d’Okinawa venaient souvent sur l’île d’Ie pour chercher les dépouilles de personnes mortes pendant la guerre. Les habitants de l’île d’Ie allaient, eux, chercher leurs morts dans la partie sud de l’île principale Tous les proches se rassemblaient pour participer aux recherches.
Le jour qui a suivi l’explosion, mes six frères aînés sont venus me chercher en sabani. À l’époque, il n’y avait pas de ferry pour aller sur l’île d’Ie. Lorsque mes frères m’ont retrouvé, J’errais sur la plage sans but. Ils ont crié, ils étaient tellement heureux que j’aie survécu. L’explosion a tué tout le monde, et a dispersé des cadavres partout sur la plage. C’était un événement si tragique que je n’ai jamais réussi à en parler, Ni dire que j’y étais, Ni même qu’un tel accident s’était produit sur l’île d’Ie. Je n’en ai jamais parlé.
Pêche ‘Agiyaa’ d’après-guerre
La technique pour prendre un gurukun (fusilier double) est appelée « pêche au coup », « agiyaa » en langue d’Okinawa. Il s’agit de rabattre les poissons depuis le fond vers les eaux peu profondes. C’est ça « agiyaa ». Ce type de pêche ne peut se pratiquer qu’en hiver. La température de l’eau est alors de 17-18℃. Elle se pratique entièrement nu. Il fait plus froid quand on porte des sous-vêtements mouillés que quand on est nu. Nous pêchions tous les six comme ça, complètement nus.
Chez nous, la nourriture était abondante. Nous avions même du riz. Pour d’autres familles, c’était plus dur. Ils n’avaient que des patates douces. Nous mangions aussi de la nourriture vendue à prix réduit par l’armée américaine. A la pêcherie, j’étais un peu l’homme à tout faire pendant deux ans. Mes frères avaient plus de 10 ans de plus que moi, alors c’était à moi de préparer le petit déjeuner le matin, et je m’occupais aussi du dîner le soir. Pour vendre le poisson, je devais porter beaucoup de marchandises lourdes. J’en ai eu marre, alors après deux ans de ce régime, je suis allé travailler pour les forces américaines.
Employé par l’Armée et « senka »
Je travaillais au QM Tengan (quartier intendance) dans l’actuelle ville d’Uruma. Mon salaire mensuel était de 150 ou 250 yens ‘B’ militaires. Tout le monde là-bas ramenait des « senka » (« trophées de guerre »). Cela consistait entre autres à voler. Beaucoup de gens volaient des conserves et d’autres biens dans les entrepôts de l’armée américaine, et les vendaient au marché noir d’Ishikawa contre de l’argent avant de retourner dans leur ville natale. Des couvertures, des pantalons fabriqués aux États-Unis, des montres et divers autres objets étaient présentés comme « trophées ». Il était difficile de cacher et sortir clandestinement de la base les cigarettes ou autres marchandises que j’avais volées dans les entrepôts. C’était quand je travaillais chez les militaires.
À l’époque où je travaillais au parc automobile (de véhicules militaires américains), on pouvait obtenir un permis de conduire américain dès que l’on était capable de conduire un véhicule sur une dizaine de mètres. Il n’y avait pas de photo sur les permis. Ainsi, lorsque les bus ont commencé à circuler à Okinawa, j’ai fait obtenir le permis à une dizaine de chauffeurs de bus différents. Ils me donnaient un inarizushi (sushi enveloppé dans du tofu frit) et me demandaient de leur procurer un permis. Ils me disaient alors comment écrire leurs noms en anglais. Je demandais ensuite un permis à leur nom au lieu du mien et je leur obtenais ainsi un permis de conduire.
Travailler en tant que plongeur
J’ai également travaillé en tant que plongeur. Lorsque les navires étrangers arrivaient au port de Naha, je devais inspecter les hélices et la capacité d’aspiration des pompes de cale (pompes submersibles). J’ai fait ça pendant trois ans. Je n’avais pas besoin d’une licence spéciale pour ce travail. Bref, j’inspectais les hélices pour voir s’il y avait des anomalies. J’ai commencé à recevoir des demandes d’études sur les poissons et de relevés sous-marins de la part de professeurs des universités de Tokyo, Kyoto et Tokai. Ils ne pouvaient pas se rendre librement à Okinawa parce que la région était sous contrôle américain. J’ai alors ouvert une entreprise de plongée et et j’ai commencé à avoir du travail. Je faisais tout le travail tout seul.
Message pour les jeunes
La chose la plus importante que je veux transmettre aux jeunes, c’est qu’ils doivent réfléchir aux raisons de s’engager dans une guerre. Les bagarres entre frères et sœurs sont aussi une forme de guerre. Les frères et sœurs ne devraient pas se battre entre eux. Je veux aussi qu’ils plantent des oignons verts et d’autres légumes, quitte à utiliser les pots de fleurs de leur jardin, afin d’apprendre à produire leur propre nourriture. Je pense que nous devons enseigner aux enfants ce genre de compétences.
Hideo Nakamura a plongé dans presque toutes les eaux d’Okinawa pour la recherche océanographique, ainsi que la récupération et le renflouement de navires coulés. Il a également représenté le Japon lors de la coupe du monde de plongée sans équipement et a remporté la troisième place.