Par-delà les mers : ma vie après la guerre
M. Kinzō Sunagawa
Date de naissance:1928
Lieu de naissance:Ville de Miyakojima
De Miyako à Taïwan
Je suis né en 1928, sur l’île de Miyako, près du port d’Harimizu (actuel port de Hirara). Je suis le cinquième d’une fratrie de sept enfants, et le troisième garçon. Mon père était marchand de bétail – on disait « bakurō » à l’époque. Il achetait et vendait des bœufs et des cochons entre Miyako et l’île principale. C’est pourquoi il faisait fréquemment l’aller-retour.
En mars 1943, Je suis allé à Keelung, à Taiwan : à l’époque, il y avait à Taipei une « Ecole des Postes et télécommunications ». Je suis allé à Keelung pour passer l’examen d’entrée, mais je n’ai pas été pris. Alors grâce à une connaissance, j’ai trouvé un emploi
Travail au service des fortifications
au QG du service des fortifications de l’armée japonaise, à Keelung. C’était un poste de « coursier ». Mon travail consistait à livrer toutes sortes de messages depuis notre QG à diverses unités. Le QG du service des Armées était lui situé à Taipei, alors parfois je faisais environ 20 kilomètres à vélo pour aller y remettre des documents. Je logeais pratiquement sur place. Nous n’étions que deux coursiers. Nous étions dans une grande salle qui servait également de mess.Nous avions également une chambre privée où nous dormions. Nous avions également des astreintes téléphoniques, alors nous dormions sur place un jour sur deux.
La vie n’avait rien à voir avec celle de Miyako. Les rues de Keelung étaient propres et organisées en damiers. A Taïwan, le premier étage des bâtiments est construit en surplomb de la rue. Au rez-de-chaussée, cela forme une gallerie dans laquelle les piétons marchent, à l’abri de la pluie. J’étais très impressionné par cette ingéniosité architecturale. Le 10 octobre 1944, Taïwan a également été la cible des chasseurs Grumman américains.
Frappes aériennes à Keelung
Nous avons vu de nombreux avions approcher. Je suis monté sur le toit pour admirer le spectacle. Au début, nous croyions qu’il s’agissait d’avions japonais. Soudain, nous avons entendu une explosion venant du port. Nous nous sommes aperçus qu’il s’agissait des Grumman américains. Nous nous sommes tous précipité aux abris antiaériens. L’attaque s’est concentrée sur les navires ancrés dans le port. Ils ne s’en sont pas pris aux installations civiles. Puis sont venus les bombardiers lourds B29. Eux n’ont pas fait de détails. La ville fut rasée.
Keelung après la guerre
Le 15 août 1945, nous avons su que l’Empereur allait faire une déclaration à la radio. Je suis sorti dehors avec tous mes collègues, pour écouter la rédition du Japon. J’ai pensé que c’était une bonne chose que le Japon ait perdu. Certains collégiens avaient été appelés pour « monter la garde ». Eux ont beaucoup pleuré en entendant que le Japon avait perdu. Les soldats, eux, n’avaient pas l’air si choqués.
Après la fin de la guerre, Les gens qui rentraient à Miyako attendaient près du port d’être rapatriés, dans les ruines d’entrepôts qui avaient perdu leur toit dans les bombardements. Nous y attendions de pouvoir partir. Mais l’Armée nationale révolutionnaire chinoise qui venait prendre possession de l’île devait débarquer à à Keelung depuis la Chine continentale. Les Japonais ont été priés de s’éloigner du port pour éviter les incidents. Finalement, nous n’avons évacué le port que le jour de leur arrivée, et nous sommes revenus le soir-même, après leur passage.
Le naufrage du Sakaemaru
Juste après la fin de la guerre, les gens de Miyako devaient eux-mêmes affréter des bateaux pour rentrer chez eux. Je devais embarquer sur le Sakaemaru avec la famille de mon oncle. Nous avons attendu plusieurs jours que le bateau ne lève l’ancre. C’est alors que mon cousin, qui avait été chef mécanicien sur un navire m’a dit de ne pas embarquer sur le Sakaemaru, que ce bateau était une ruine qui avait été abandonné à flanc de colline, et qu’il n’avait été remis à flots que pour pallier le manque de bateaux. Il m’a dit que c’était dangereux d’embarquer. J’ai alors dit à mon oncle qu’il valait mieux ne pas prendre le Sakaemaru. Avec sa famille, ils ont décidé de rester à quai. Moi j’ai dû embarquer sans eux car mes bagages étaient déjà chargées.
Alors, comme mon cousin l’avait prévu, le moteur du navire est tombé en panne. C’était en novembre et un fort vent du nord soufflait. Sans moteur, nous avons dérivé à la merci du vent, dans la direction opposée. Nous avons jeté l’ancre en face du port, près d’un rivage plein de rochers. J’étais sur le pont du navire, quand soudain une grande vague a retourné le bateau, et m’a jeté par-dessus bord. Au final, le navire s’est échoué sur la berge. Je ne me souviens plus du chiffre exact, mais sur les 160 passagers, je crois que seulement une trentaire a survécu. Parmi les survivants se trouvait un garçon de cinq ou six ans. Nous n’avons dû notre survie qu’à un coup de chance.
La population locale a accouru avec des torches pour nous aider. Quand nous arrivions près du rivage, ils nous portaient jusque sur la terre ferme. Je ne me souviens pas clairement, mais nous avons passé une nuit dans une petite cabane près du rivage. Le lendemain matin, les gens qui nous avaient sauvés nous ont demander de l’aide pour récupérer les corps échoués sur le rivage. Les survivants suffisament en forme ont dû aider à emporter les corps. Presque tous les morts ont été rejetés vers la berge. Certains avaient des organes qui leur sortaient du ventre, et d’autres avaient le crâne et le visage déformés. En les voyant je voulais fermer les yeux.
Le Sakaemaru était un petit bateau de moins de 30 tonnes. Même sans la panne de moteur, je pense qu’un accident serait arrivé. Il y avait trop de passagers, quand j’y repense, je me dis que c’était suicidaire. Je ne me souviens pas de grand chose après avoir été secouru. Je me souviens avoir ramassé les corps, mais je ne me souviens pas comment je suis rentré à Miyako.
Retour à Miyako et marché noir
Vers décembre 1945, Je suis arrivé sur l’île de Miyako. Le Sakaemaru, c’était en novembre, alors c’était probablement en décembre. Les villages de l’île de Miyako avaient été rasés par les raids aériens. Il y avait quelques soldats américains, mais pas tant que ça. L’armée américaine était stationnée à la station météo. J’y ai travaillé comme homme de ménage pendant environ six mois, puis je suis devenu marin.
A cette époque, il y avait des bateaux de pêche au marlin qu’on appelait des « tsukinbō ». Je crois que c’est sur un tsukinbō que je me suis engagé comme membre d’équipage. Quelqu’un sur l’île de Yonaguni possédait deux bateaux. Je voyageais sur l’un d’eux entre Yonaguni et Itoman, sur l’île principale. Nous avons été impliqués dans le « marché noir » pendant un certain temps. Lorsque nous quittions Yonaguni, le bateau était pratiquement vide. A Okinawa, nous chargions de l’huile de moteur, des pneus et des vêtements pour soldats américains Le chargement se faisait au large d’Itoman. Notre route passait toujours par l’île de Kume. Je pense que nous devions probablement y charger quelque chose également. La femme du propriétaire du bateau était originaire de Sonai, sur l’île de Yonaguni. J’ai entendu dire que le propriétaire venait, lui, de l’île de Tarama. Ils vivaient tous les deux à Sonai. Ils possédaient également une usine de katsuo-bushi (bonite séchée). Nous déchargions notre cargaison à Sonai. Le boom économique à Yonaguni a eu lieu quelque temps plus tard. Au moment où nous travaillions au marché noir, l’économie ne semblait pas avoir repris. Relativement peu de gens travaillaient comme nous pour le marché noir. Ce n’est que bien plus tard que le marché noir a prospéré à Yonaguni. J’ai fait 4 ou 5 voyages, et j’ai fait ce travail pendant six mois. Je vivais entre Miyako et Yonaguni pendant ce temps.
Après ça, je me suis engagé sur le Taiheimaru, un bateau appartenant à une société fondée par des commerçants de Miyako, encore comme membre d’équipage. Le Taiheimaru chargeait du bois de construction et de chauffage à Yaeyama, et le ramenait à Miyako. A l’époque le bois venait essentiellement de Yaeyama. Nous chargions souvent à Hirakubo. dans le nord d’Ishigaki.Puis le Taiheimaru a été remplacé par un nouveau bateau, le Bussanmaru, sur lequel je me suis engagé également. Nous allions entre Okinawa et l’île d’Amami Oshima au nord, et même jusqu’au village de Toshima dans les îles Tokara. Une fois, nous sommes allés dans les îles Pratas, entre Hong Kong et Taïwan, pour en ramener des algues. Sans nous en apercevoir, nous avions dépassé les îles Pratas, et nous nous sommes retrouvés près des côtes chinoises. Nous avons été arrêtés par un patrouilleur étranger et emmenés à Macao. Nous y sommes restés environ 6 mois. Nous n’avons pas été emprisonnés, mais le Bussanmaru a été confisqué. La compagnie voulait absolument le récuperer Elle a fait des pieds et des mains, et finalement elle a réussi à le racheter aux enchères. Mais il y avait un problème : des pièces importantes du moteur avaient disparu. Donc, je suis resté à Macao pendant environ 6 mois. jusqu’à ce que nous obtenions les pièces nécessaires.
Le Bussanmaru pesait environ 30 tonnes, en cèdres du Japon. Nous n’avons jamais chargé de marchandises à Miyako, mais vu que nous passions par l’île principale d’Okinawa, nous embarquions des passagers à Miyako pour les emmener à Okinawa. Je suis aussi allé à Naze, à Amami-Oshima, et au village de Toshima, sur l’île de Kuchi-no-shima. A cette époque, il y avait bien une police, mais ils n’intervenaient pas beaucoup sur le marché noir. Nous pouvions traverser librement la frontière (entre Okinawa et le Japon). A Kuchi-no-shima et Naka-no-shima, nous chargions du bois, du riz et des agrumes, nous passions par l’île principale pour embarquer d’éventuels passagers, puis nous rentrions à Miyako. Le Bussanmaru transportait également du bois depuis l’île d’Ishigaki.
Employé dans une centrale électrique à Okinawa
C’est en 1949 que j’ai quitté le Bussanmaru pour aller sur l’île principale d’Okinawa. J’avais entendu dire qu’un ami plus âgé de Miyako participait à la construction d’une centrale électrique à Makiminato, Urasoe. J’y suis allé pour voir, et il y avait plein de gens originaires de Miyako. Les turbines et les chaudières de la centrale pesaient plusieurs dizaines de tonnes. A l’époque, il n’était pas possible de les acheminer par la route. Nous les avons transportés depuis Naha dans un LST(bateau de transport de chars) de l’armée américaine. Il y avait une plage à Makiminato, près de la centrale, Nous avons débarqués les machines le plus haut possible sur la plage. Puis deux par deux, nous avons amené de grosses poutres de 30cm d’épaisseur, nous les avons posés sur le sable. Puis nous avons alignés des rondins dessus, et nous avons hissé les machines à la main jusqu’à la centrale. C’était le genre de travail que nous faisions.
Après le déplacement des charges lourdes, il y a eu toute la plomberie. Nous avons relié tous les tuyaux et machines. Les experts venus de la métropole menaient les travaux avec leurs plans, et nous les assistions. C’est ainsi que j’ai travaillé à la construction d’une centrale électrique. Grâce à cette expérience, j’ai appris à me servir des machines,comment elles fonctionnent, à quoi elles servent… La construction s’est achevée, mais il n’y avait pas d’opérateurs à Okinawa pour faire tourner la centrale. Lorsqu’elle a été presque terminée on nous a confié la mission de tester son fonctionnement, puis d’opérer la centrale.Nous avons finalement été embauchés comme opérateurs par Toshiba, à qui la centrale appartenait. Il faut reconnaître que nous avons eu beaucoup de chance.On nous a confié l’exploitation d’une centrale électrique, alors que nous n’y connaissions rien.
Lorsque la centrale a été achevée, une société américaine nommée Gilbert a été désignée par l’armée américaine pour reprendre la gestion de l’usine. Nous avons changé d’employeur, de Toshiba à Gilbert. Puis la Ryukyu Electric Power Corporation a été établie, et notre employeur a encore changé. A son ouverture en avril 1953,
la centrale comptait4 turbines de 15,000 kW chacune. Mais la demande d’énergie a progressivement augmenté, et la production ne suivait plus. En juin 1955 est arrivé des Etats-Unis le Jacona, une centrale électrique flottante, amarrée près de l’aérodrome de Hamby à Chatan, pour assurer l’approvisionnement en électricité. J’ai été muté de la centrale de Makiminato sur le Jacona. Le travail était très dur.
Message pour la jeunesse
Lorsqu’on est jeune, on a le monde pour soi.Lorsque vous avez décidé de faire quelque chose soyez consciencieux dans votre travail. Quand j’ai commencé à la centrale, je m’y suis plongé corps et âme. Mon éducation s’était arrêtée à l’école primaire, je n’avais pas assez de connaissances en physique ou en chimie. Or, j’en avais besoin à la centrale. J’ai acheté des livres sur le sujet à Naha, et j’ai étudié. C’est une bonne chose d’être aussi passionné par ce que l’on fait. Soyez investis dans votre travail et efforcez-vous de faire de votre mieux.
M. Kinzō Sunagawa a été rapatrié depuis Taïwan après la guerre et a réchappé au naufrage du Sakaemaru. Avec l’énergie de quelqu’un qui a échappé de justesse à la mort, M. Sunagawa a contribué à la reconstruction d’après-guerre grâce à sa diligence et son expertise dans le domaine de la production d’électricité.
De Miyako à Taïwan
Je suis né en 1928, sur l’île de Miyako, près du port d’Harimizu (actuel port de Hirara). Je suis le cinquième d’une fratrie de sept enfants, et le troisième garçon. Mon père était marchand de bétail – on disait « bakurō » à l’époque. Il achetait et vendait des bœufs et des cochons entre Miyako et l’île principale. C’est pourquoi il faisait fréquemment l’aller-retour.
En mars 1943, Je suis allé à Keelung, à Taiwan : à l’époque, il y avait à Taipei une « Ecole des Postes et télécommunications ». Je suis allé à Keelung pour passer l’examen d’entrée, mais je n’ai pas été pris. Alors grâce à une connaissance, j’ai trouvé un emploi
Travail au service des fortifications
au QG du service des fortifications de l’armée japonaise, à Keelung. C’était un poste de « coursier ». Mon travail consistait à livrer toutes sortes de messages depuis notre QG à diverses unités. Le QG du service des Armées était lui situé à Taipei, alors parfois je faisais environ 20 kilomètres à vélo pour aller y remettre des documents. Je logeais pratiquement sur place. Nous n’étions que deux coursiers. Nous étions dans une grande salle qui servait également de mess.Nous avions également une chambre privée où nous dormions. Nous avions également des astreintes téléphoniques, alors nous dormions sur place un jour sur deux.
La vie n’avait rien à voir avec celle de Miyako. Les rues de Keelung étaient propres et organisées en damiers. A Taïwan, le premier étage des bâtiments est construit en surplomb de la rue. Au rez-de-chaussée, cela forme une gallerie dans laquelle les piétons marchent, à l’abri de la pluie. J’étais très impressionné par cette ingéniosité architecturale. Le 10 octobre 1944, Taïwan a également été la cible des chasseurs Grumman américains.
Frappes aériennes à Keelung
Nous avons vu de nombreux avions approcher. Je suis monté sur le toit pour admirer le spectacle. Au début, nous croyions qu’il s’agissait d’avions japonais. Soudain, nous avons entendu une explosion venant du port. Nous nous sommes aperçus qu’il s’agissait des Grumman américains. Nous nous sommes tous précipité aux abris antiaériens. L’attaque s’est concentrée sur les navires ancrés dans le port. Ils ne s’en sont pas pris aux installations civiles. Puis sont venus les bombardiers lourds B29. Eux n’ont pas fait de détails. La ville fut rasée.
Keelung après la guerre
Le 15 août 1945, nous avons su que l’Empereur allait faire une déclaration à la radio. Je suis sorti dehors avec tous mes collègues, pour écouter la rédition du Japon. J’ai pensé que c’était une bonne chose que le Japon ait perdu. Certains collégiens avaient été appelés pour « monter la garde ». Eux ont beaucoup pleuré en entendant que le Japon avait perdu. Les soldats, eux, n’avaient pas l’air si choqués.
Après la fin de la guerre, Les gens qui rentraient à Miyako attendaient près du port d’être rapatriés, dans les ruines d’entrepôts qui avaient perdu leur toit dans les bombardements. Nous y attendions de pouvoir partir. Mais l’Armée nationale révolutionnaire chinoise qui venait prendre possession de l’île devait débarquer à à Keelung depuis la Chine continentale. Les Japonais ont été priés de s’éloigner du port pour éviter les incidents. Finalement, nous n’avons évacué le port que le jour de leur arrivée, et nous sommes revenus le soir-même, après leur passage.
Le naufrage du Sakaemaru
Juste après la fin de la guerre, les gens de Miyako devaient eux-mêmes affréter des bateaux pour rentrer chez eux. Je devais embarquer sur le Sakaemaru avec la famille de mon oncle. Nous avons attendu plusieurs jours que le bateau ne lève l’ancre. C’est alors que mon cousin, qui avait été chef mécanicien sur un navire m’a dit de ne pas embarquer sur le Sakaemaru, que ce bateau était une ruine qui avait été abandonné à flanc de colline, et qu’il n’avait été remis à flots que pour pallier le manque de bateaux. Il m’a dit que c’était dangereux d’embarquer. J’ai alors dit à mon oncle qu’il valait mieux ne pas prendre le Sakaemaru. Avec sa famille, ils ont décidé de rester à quai. Moi j’ai dû embarquer sans eux car mes bagages étaient déjà chargées.
Alors, comme mon cousin l’avait prévu, le moteur du navire est tombé en panne. C’était en novembre et un fort vent du nord soufflait. Sans moteur, nous avons dérivé à la merci du vent, dans la direction opposée. Nous avons jeté l’ancre en face du port, près d’un rivage plein de rochers. J’étais sur le pont du navire, quand soudain une grande vague a retourné le bateau, et m’a jeté par-dessus bord. Au final, le navire s’est échoué sur la berge. Je ne me souviens plus du chiffre exact, mais sur les 160 passagers, je crois que seulement une trentaire a survécu. Parmi les survivants se trouvait un garçon de cinq ou six ans. Nous n’avons dû notre survie qu’à un coup de chance.
La population locale a accouru avec des torches pour nous aider. Quand nous arrivions près du rivage, ils nous portaient jusque sur la terre ferme. Je ne me souviens pas clairement, mais nous avons passé une nuit dans une petite cabane près du rivage. Le lendemain matin, les gens qui nous avaient sauvés nous ont demander de l’aide pour récupérer les corps échoués sur le rivage. Les survivants suffisament en forme ont dû aider à emporter les corps. Presque tous les morts ont été rejetés vers la berge. Certains avaient des organes qui leur sortaient du ventre, et d’autres avaient le crâne et le visage déformés. En les voyant je voulais fermer les yeux.
Le Sakaemaru était un petit bateau de moins de 30 tonnes. Même sans la panne de moteur, je pense qu’un accident serait arrivé. Il y avait trop de passagers, quand j’y repense, je me dis que c’était suicidaire. Je ne me souviens pas de grand chose après avoir été secouru. Je me souviens avoir ramassé les corps, mais je ne me souviens pas comment je suis rentré à Miyako.
Retour à Miyako et marché noir
Vers décembre 1945, Je suis arrivé sur l’île de Miyako. Le Sakaemaru, c’était en novembre, alors c’était probablement en décembre. Les villages de l’île de Miyako avaient été rasés par les raids aériens. Il y avait quelques soldats américains, mais pas tant que ça. L’armée américaine était stationnée à la station météo. J’y ai travaillé comme homme de ménage pendant environ six mois, puis je suis devenu marin.
A cette époque, il y avait des bateaux de pêche au marlin qu’on appelait des « tsukinbō ». Je crois que c’est sur un tsukinbō que je me suis engagé comme membre d’équipage. Quelqu’un sur l’île de Yonaguni possédait deux bateaux. Je voyageais sur l’un d’eux entre Yonaguni et Itoman, sur l’île principale. Nous avons été impliqués dans le « marché noir » pendant un certain temps. Lorsque nous quittions Yonaguni, le bateau était pratiquement vide. A Okinawa, nous chargions de l’huile de moteur, des pneus et des vêtements pour soldats américains Le chargement se faisait au large d’Itoman. Notre route passait toujours par l’île de Kume. Je pense que nous devions probablement y charger quelque chose également. La femme du propriétaire du bateau était originaire de Sonai, sur l’île de Yonaguni. J’ai entendu dire que le propriétaire venait, lui, de l’île de Tarama. Ils vivaient tous les deux à Sonai. Ils possédaient également une usine de katsuo-bushi (bonite séchée). Nous déchargions notre cargaison à Sonai. Le boom économique à Yonaguni a eu lieu quelque temps plus tard. Au moment où nous travaillions au marché noir, l’économie ne semblait pas avoir repris. Relativement peu de gens travaillaient comme nous pour le marché noir. Ce n’est que bien plus tard que le marché noir a prospéré à Yonaguni. J’ai fait 4 ou 5 voyages, et j’ai fait ce travail pendant six mois. Je vivais entre Miyako et Yonaguni pendant ce temps.
Après ça, je me suis engagé sur le Taiheimaru, un bateau appartenant à une société fondée par des commerçants de Miyako, encore comme membre d’équipage. Le Taiheimaru chargeait du bois de construction et de chauffage à Yaeyama, et le ramenait à Miyako. A l’époque le bois venait essentiellement de Yaeyama. Nous chargions souvent à Hirakubo. dans le nord d’Ishigaki.Puis le Taiheimaru a été remplacé par un nouveau bateau, le Bussanmaru, sur lequel je me suis engagé également. Nous allions entre Okinawa et l’île d’Amami Oshima au nord, et même jusqu’au village de Toshima dans les îles Tokara. Une fois, nous sommes allés dans les îles Pratas, entre Hong Kong et Taïwan, pour en ramener des algues. Sans nous en apercevoir, nous avions dépassé les îles Pratas, et nous nous sommes retrouvés près des côtes chinoises. Nous avons été arrêtés par un patrouilleur étranger et emmenés à Macao. Nous y sommes restés environ 6 mois. Nous n’avons pas été emprisonnés, mais le Bussanmaru a été confisqué. La compagnie voulait absolument le récuperer Elle a fait des pieds et des mains, et finalement elle a réussi à le racheter aux enchères. Mais il y avait un problème : des pièces importantes du moteur avaient disparu. Donc, je suis resté à Macao pendant environ 6 mois. jusqu’à ce que nous obtenions les pièces nécessaires.
Le Bussanmaru pesait environ 30 tonnes, en cèdres du Japon. Nous n’avons jamais chargé de marchandises à Miyako, mais vu que nous passions par l’île principale d’Okinawa, nous embarquions des passagers à Miyako pour les emmener à Okinawa. Je suis aussi allé à Naze, à Amami-Oshima, et au village de Toshima, sur l’île de Kuchi-no-shima. A cette époque, il y avait bien une police, mais ils n’intervenaient pas beaucoup sur le marché noir. Nous pouvions traverser librement la frontière (entre Okinawa et le Japon). A Kuchi-no-shima et Naka-no-shima, nous chargions du bois, du riz et des agrumes, nous passions par l’île principale pour embarquer d’éventuels passagers, puis nous rentrions à Miyako. Le Bussanmaru transportait également du bois depuis l’île d’Ishigaki.
Employé dans une centrale électrique à Okinawa
C’est en 1949 que j’ai quitté le Bussanmaru pour aller sur l’île principale d’Okinawa. J’avais entendu dire qu’un ami plus âgé de Miyako participait à la construction d’une centrale électrique à Makiminato, Urasoe. J’y suis allé pour voir, et il y avait plein de gens originaires de Miyako. Les turbines et les chaudières de la centrale pesaient plusieurs dizaines de tonnes. A l’époque, il n’était pas possible de les acheminer par la route. Nous les avons transportés depuis Naha dans un LST(bateau de transport de chars) de l’armée américaine. Il y avait une plage à Makiminato, près de la centrale, Nous avons débarqués les machines le plus haut possible sur la plage. Puis deux par deux, nous avons amené de grosses poutres de 30cm d’épaisseur, nous les avons posés sur le sable. Puis nous avons alignés des rondins dessus, et nous avons hissé les machines à la main jusqu’à la centrale. C’était le genre de travail que nous faisions.
Après le déplacement des charges lourdes, il y a eu toute la plomberie. Nous avons relié tous les tuyaux et machines. Les experts venus de la métropole menaient les travaux avec leurs plans, et nous les assistions. C’est ainsi que j’ai travaillé à la construction d’une centrale électrique. Grâce à cette expérience, j’ai appris à me servir des machines,comment elles fonctionnent, à quoi elles servent… La construction s’est achevée, mais il n’y avait pas d’opérateurs à Okinawa pour faire tourner la centrale. Lorsqu’elle a été presque terminée on nous a confié la mission de tester son fonctionnement, puis d’opérer la centrale.Nous avons finalement été embauchés comme opérateurs par Toshiba, à qui la centrale appartenait. Il faut reconnaître que nous avons eu beaucoup de chance.On nous a confié l’exploitation d’une centrale électrique, alors que nous n’y connaissions rien.
Lorsque la centrale a été achevée, une société américaine nommée Gilbert a été désignée par l’armée américaine pour reprendre la gestion de l’usine. Nous avons changé d’employeur, de Toshiba à Gilbert. Puis la Ryukyu Electric Power Corporation a été établie, et notre employeur a encore changé. A son ouverture en avril 1953,
la centrale comptait4 turbines de 15,000 kW chacune. Mais la demande d’énergie a progressivement augmenté, et la production ne suivait plus. En juin 1955 est arrivé des Etats-Unis le Jacona, une centrale électrique flottante, amarrée près de l’aérodrome de Hamby à Chatan, pour assurer l’approvisionnement en électricité. J’ai été muté de la centrale de Makiminato sur le Jacona. Le travail était très dur.
Message pour la jeunesse
Lorsqu’on est jeune, on a le monde pour soi.Lorsque vous avez décidé de faire quelque chose soyez consciencieux dans votre travail. Quand j’ai commencé à la centrale, je m’y suis plongé corps et âme. Mon éducation s’était arrêtée à l’école primaire, je n’avais pas assez de connaissances en physique ou en chimie. Or, j’en avais besoin à la centrale. J’ai acheté des livres sur le sujet à Naha, et j’ai étudié. C’est une bonne chose d’être aussi passionné par ce que l’on fait. Soyez investis dans votre travail et efforcez-vous de faire de votre mieux.
M. Kinzō Sunagawa a été rapatrié depuis Taïwan après la guerre et a réchappé au naufrage du Sakaemaru. Avec l’énergie de quelqu’un qui a échappé de justesse à la mort, M. Sunagawa a contribué à la reconstruction d’après-guerre grâce à sa diligence et son expertise dans le domaine de la production d’électricité.